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Tuesday, July 9, 2013

REMINISCENCES


Le monde de ma mere

Nadia Lemaine, une infirmière de grande taille, au rire joyeux et communicatif, m’a écouté cette fois-ci avec beaucoup d’attention, comme jadis les enfants réunis à l’heure des contes du soir.
Petite, lui disais-je, ma mère racontait comment elle faisait galoper la bourrique de grand mère, qui en avait toujours une. On l’envoyait faire des commissions, non loin dans sa campagne natale. Alors, pour se venger des petites méchancetés de sa mère, elle lançait à fond de train la bourrique qui semblait tout aussi heureuse de courir, surtout à la tombée du jour.
Ms Nadia Lemaine
Maman disait aussi  ses ébats et ses gambades dans un groupe de rara qu’elle rencontrait au hasard. Une connaissance de sa mère à elle la faisait danser comme jamais on ne dansa. En d’autres occasions, elle versait ses querelles avec une fillette de son âge, le long de cette rivière où elle allait puiser de l’eau au p’tit matin ou à l’angélus. On se battait avec force jurons, poussés par d’autres gamins nus comme des vers. La vie s’écoulait tranquille entre les champs de canne et ces horizons qui semblaient une sorte de frontière.  Qu’est ce qui se passait là bas, là où courent les voitures et vivaient les gens qui n’avaient rien à voir avec le monde rural ? Maman, toute petite, n’allait pas mettre longtemps à le savoir.
Quoiqu’il advȋnt cependant, le monde de ma mere allait mettre beaucoup plus de temps à disparaitre. Un vieux m’a confié qu’il avait été le compagnon de jeu de maman.  Je m’imagine à present ce monde fragile fermé sur lui-même comme à l’epoque de l’esclavage et de l’habitation. Les enfants grandissaient pour mourir certains là même où ils avaient vu le jour. Point de mobilité. Seulement, les cours d’eau, les rivieres et ces grands canaux qui faisaient tourner les moulins  et ces grands chemins où l’on ose à peine se montrer. Je me representais aussi ces chaumières qui n’ont pas beaucoup changé depuis les annees 1800,et ces cimetières de famille qui cachaient  la mémoire et les souvenirs. En ces annees 50, ils etaient encore presque intacts ces souvenirs des temps revolus. Aujourd’hui encore, ce sont de tels souvenirs qui me hantent non sans un pincement au cœur.
Le benjamin de la famille, le jeune frere de ma mère m’amena un jour sans dire mot dans une clairiere. Ses yeux etaient pleins de vie et il paraissait tres heureux. La , il amena une vache qui avait les mamelles gonflees de lait. Il prit un coui et commença à traire la vache. Un lait un peu épais et mousseux remplit très vite le récipient. Mon oncle prit alors un morceau de canne, la broya et versa le jus dans son coui. C’était selon toute apparence délicieux, ce mélange, en tout cas assez pour que mon oncle ingurgita plusieurs gorgées. Je regrette aujourd’hui encore de n’en avoir rien bu d’un tel mélange. A 23 ou 25 ans, mon oncle était très vigoureux. La nature savait récompenser ceux qui surent lui être fideles.
Je devais grandir pour apprendre à aimer ce monde et à m’interroger dessus. La richesse se réduisait parfois à une portion de terre, et plus souvent a quelques bestiaux. Malade, une femme me disait que la vache qu’il lui était impossible d’abandonner n’avait que elle. Au fond, la vache possédait un être humain qui s’occupait d’elle ; la femme ne possédait que la vache comme bien ; c’est elle qui devait l’amener à la rivière tous les jours. Elle ne pouvait donc pas l’abandonner. Alors, le jour où cette brave femme expira, la vache a bien sur trouve quelqu’un d’autre pour lui faire boire a la rivière.
Je n’oublierai jamais cette histoire, cette relation entre la bête et son propriétaire. Je ne pense même pas à la chèvre de M. Seguin, la pauvre blanquette qui s’est fait manger par le loup. M. Seguin a regretté Blanquette, mais je ne sais pas si la vache a pleure a la mort de sa gardienne et maitresse. Cela importe peu. Le monde rural ferméaux autres et à la civilisation sut  toujours s’inventer d’autres façons de vivre.


Peu de mondes sont aussi riches. Les américains appellent wilderness ces modes  d’existence à la lisière de la civilisation. Cependant, quand l’on y regarde de prés, il semble que, pour se dérober à la science des hommes, la nature a choisi le secret de l’étrange et de l’inattendu pour célébrer ses grandes messes. Ite, missa est, semble se dire cette nature quand sorti de son cocon, le papillon inaugure cette danse colorée qui est un hommage et un attribut de la lumière. Cette métamorphose a lieu loin du regard des hommes, comme si,  a être vue, la fête eût été différente. Le spectacle n’en sera que plus beau !
Ce monde dans lequel ma mère a grandi a bien sur changé depuis. Les papillons ne frémissent plus sous le soleil de juin, à la St Jean. D’énormes bâtisses se sont succédé la où poussait la végétation. La flore allait en souffrir, l’eau viendra à manquer et la beauté qui répond à nos illusions cédera la place à un monde incolore et invivable.


C’est un peu ce que je disais à Nadia, quand, sur les grandes routes de Queens, NY, nous regardions passer tout ce qui sert de ballet a la civilisation. Nadia m’a dit que, depuis des années, nos légendes ont disparu emportant Bouki et Malice, ces heros de nos enfances épiques. Le monde a besoin autant d’illusion que de vérité pour  être heureux. A vouloir lui imposer quelque chose d’autre c’est travailler finalement a sa perte. L’innocence a toujours eu sa nostalgie.  
Et ma mère aussi.