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Tuesday, August 4, 2015

LU POUR VOUS LA QUESTION DOMINICAINE



LU POUR VOUS

LA QUESTION DOMINICAINE

UNE LETTRE TRISTE,





Haitianos en un campo de caña dominicano


Hola Madanm!!! 

J’ai vécu 4 ans en République Dominicaine. Pas par choix.

En Haïti, fréquenter l’université après les études secondaires, ne va pas de soi. Cela pourrait ressembler aisément à un parcours de combattant et pour les parents et pour le jeune finissant.
Mes parents faisaient face au dilemme que vit la plupart des familles issues de classe moyenne, avec des adolescents la tête pleine de rêves dans un pays qui n’offre pas beaucoup d’options.


L’université publique, oui … grosso modo 11, 000 milles places (à raison de 100 par faculté pour les 11 entités de l’UEH à l’époque)… disponibles pour plus de trois fois le nombre de postulants… 

Les bourses d’études … oui… dans un processus non transparent, c’était à celui ou celle ayant le piston du cousin d’une tante d’un ami qui connaît la femme d’un ministre… Compliqué et incertain… 

Les universités privées… oui les plus reconnues (au nombre de 2 à l’époque) étaient à leurs premiers balbutiements et relativement chères par rapport au pouvoir d’achat d’une famille haïtienne moyenne…


Refusant les pistons, pas trop convaincu à l’époque de la qualité de formation offerte ici, n'ayant pas les reins assez solide financièrement pour payer l’université aux Etats-Unis, à défaut d’avoir réussi au concours de l’université publique qui était l’option préférentielle, le choix s’est porté vers la République voisine.

C’était l’époque de la grande traversée de centaines d’étudiants en république voisine, en majorité venant du Nord du pays…

Je me suis rendue seule à bord d’un autobus, una guagua dans ce pays, dont la seule chose que je retenais de l’histoire, c’est que nous l’avions occupé pendant 21 ans … et bien sur, il y a le massacre orchestré par Trujillo mais qui ne faisait ici l’objet d’aucune commémoration annuelle, ni de rappel pour l’histoire et la memoire..

Déjà à la frontière, on annonçait les couleurs.  


Pendant 4 ans, j’étais le témoin constant et direct des abus que subissaient des compatriotes. Le statut de soldat du dominicain, lui conférait tous les droits. A la frontière toutes les mesures étaient valides tant qu’elles permettaient de décourager les « envahisseurs haïtiens »… des barbelés, des barrières, des contrôles abusifs et envahissants, des offenses les unes plus inhumaines que les autres…tout y était !

Durant les arrêts aux différents postes (au moins 7) avant d’arriver à Santiago, on était à chaque fois obligé d’exhiber passeport, carte d’étudiant sous le regard condescendant et arrogant du soldat dominicain qui parfois ne savait même pas lire…
Je me suis rendue avec tous mes préjugés sur une terre qui me le rendait bien et même pire, car eux aussi, nourrissaient leurs propres préjugés …

Je voyais défiler devant moi la grande plaine du Cibao…verte, étendue à perte de vue et clairsemé du dos luisant, cuit au soleil de compatriotes cultivant la terre…

A Santiago, une ville propre... bien entretenue avec des rues bien tracées qui transpirait une joie de vivre… très différente du chaos quotidien, de l’agressivité constante, de l’instabilité chronique, des kouris, des manifestions pour un oui ou un non, auquelles j’étais habituée…

L’université, qui serait pendant 4 ans ma seconde maison, était un grand campus construit sur près de 5 ha… Rien d’extraordinaire mais suffisamment bien équipée pour attirer des étudiants venant de la Caraïbe, des échanges d’étudiants avec de grandes universités américaines… 

Et je me posais cette question qui me revient encore : kot sa nou pa ka fè la a ???

Les dominicains que j’ai rencontrés là-bas, pour la plupart faisait connaissance pour la première fois avec des haïtiens éduqués.  Pour eux, un haïtien venait dans leur pays pour être mendiant, marchand ambulant, comme main d’œuvre à bon marché pour les constructions ou couper la canne à sucre dans les bateys….

Nous autres, qui étions venus pour étudier, étaient souvent vus comme des curiosités dans les magasins de grande surface, ou les supermarchés où il fallait à chaque fois convaincre de notre nationalité …tu no pareces haitiano … tu eres linda para una haitiana…tu si tienes mucho dinero …

Et ça, au fur et à mesure, je saisissais tout le sens raciste et méchant de ces petites phrases qui m’agaçaient au plus haut point. (Bien que j’en connais qui y voyait une sorte de compliments, honte à eux !!)

Pour eux on ne pouvait pas être des haïtiens. L’Haïtien est synonyme de saleté, de sorcellerie, d’escroquerie… A certains compatriotes, on leur demandaient leurs pièces d’identité pour mieux  abuser d’eux et les maltraiter car ils étaient « el maldito haitiano, el diablo », à nous c’était pour nous distinguer… j’étais une autre haïtienne, una morena linda y fina …

Le cours d’histoire dominicaine enseigné en classe préparatoire était une histoire d’Haïti mal racontée, tordue à volonté où Dessalines était un monstre sanguinaire et Boyer un ignorant, un inculte de la pire espèce… le fameux monumento de Santiago, dit-on a été érigé en souvenir de la capitulation de l’armée de Soulouque ; le 27 février, le 30 mars sont des célébrations nationales où l’anti-haitianisme atteint son paroxysme. Des exhibitions et démonstrations pour contrecarrer le plan qui existe seulement dans leur imagination raciste, selon lequel Haïti prépare une invasion…

Tout ou presque dans ce pays, transpire l’anti-haitianisme, jusque dans les blagues de mauvais gout…les derniers événements sont là pour le prouver...

La République Dominicaine a été historiquement et jusqu'à très récemment une destination pour des travailleurs migrants… de paysans abandonnant les terres en Haïti pour être des travailleurs saisonniers dans les plantations, les braceros… donc pas trop intéressant pour l’Elite Haïtienne en général sinon pour servir d’inspiration poétique … la Romann, Viejo…

Malgré dans les accords passés entre les deux pays et en dépit des conventions internationales relatives au droit des travailleurs, aucun effort réel pour protéger leurs droits n’a été fait dans cette terre d’accueil, les représentations diplomatiques toujours dépassées par les situations de conflits latents ou explosifs, n’existent le plus souvent que de nom …

Autant que nous ignorons ou faisons semblant d’ignorer ce qui se passe là-bas et même la situation d’abus dans laquelle vit constamment nos compatriotes,  autant qu’il ne se passe un jour sans que Haïti ne fasse partie de leurs éditions de nouvelles… bien entendu dans le mauvais sens.

On va me dire que tous les dominicains ne sont pas tous pareils. Oui et je le concède. J’en ai connu de très respectueux, d’humain, qui apprécie à leurs justes valeurs, les citoyens haïtiens qui séjournent chez eux… Ce sont des exceptions… ce n’est pas la règle !

Cela fait plus de 10 ans que j’ai arrêté mes études en République Dominicaine. Et bien que parlant couramment l’espagnol, tout en ayant encore des amis qui seraient heureux de m’accueillir chez eux… Je n’y suis jamais retournée pour des vacances. Je n’ai eu ni le gout, ni l’envie…

Ca me désole parfois de voir des compatriotes de réjouir de leurs vacances là-bas… en détournant élégamment les yeux sur le comportement hautain et irrespectueux des agents sur la frontière…

Notre incapacité à avoir un projet commun, à être d’accord sur l’essentiel nourrit cet effritement progressif de notre pays… et de nos valeurs patriotiques.

Les marches ne suffiront jamais tant que nous n’inculquons pas à nos enfants dès leur plus jeune, cette conscience et ce sentiment d’appartenance indispensable à toute démarche de fierté et de dignité humaine.

Les manifestations ne seront rien tant que l’haïtien se sente en transit chez lui pensant toujours qu’il y a mieux ailleurs… même si ce mieux traduit l’argent ou le semblant de confort, acquis au prix fort de l’humiliation et du mépris…

Les dénonciations seront vaines et ne donneront aucun résultat, tant que nous ne consentons pas d’offrir à nos jeunes les opportunités d’exploiter à fond leurs connaissances et de les mettre au service de leurs pays…

Et tant que les jeunes professionnels préfèrent le chemin le plus facile et n’acceptent pas de sortir de leurs zones de confort…

Tant que nous continuons en entonner grenadye a laso, sa ki mouri zafe a yo … tant que nous continuons à entretenir la logique de  zafè mouton pa zafè kabrit, de nèg anwo, nèg anba, nèg andeyò, pitit petion …
Tant que nous nourrissons notre quotidien de slogans creux et éphémères en nous bouchant les yeux sur la vraie réalité de division, de sectarisme, d’attitudes constants de « sauve-qui-peut » qui pourrissent notre existence..

Nous essuierons pour longtemps encore ces gifles de la Bahamas, de la Martinique, de la  République Dominicaine…dans chacun de ces pays, pas un jour ne passe sans qu’un haïtien ne soit pris en chasse au mépris de tous droits de la personne…rapatrié, refoulé ...

Qu'avons nous fait pour empêcher cela?  non, je parle pas de l'ETAT! je parle de nous, en tant que nation...

Cap-Haitien ma ville n’a rien à envier à Santiago, la ville où j’ai passé 4 années de ma vie …par endroit, elles se ressemblent, l’alignement des rues … et même la fierté qui caractérise les gens du nord…

Tout ce qu’il nous faut est un projet de société construit sur le respect de l’autre, sur l’amour de notre pays, sur la conscience de qui nous sommes …

que nous apprenons à construire sur l'essentiel.

Ann kòmanse pwopte lakay nou, nou chaje ak pwoblèm !


La période pascale arrive, ils seront des centaines à poster fièrement leurs vacances en République Dominicaine… Je dis ça, je dis rien. On a le droit de disposer de son argent comme on veut…


Mais la prochaine fois que vous vous rendrez à un des ces hôtels, ne serait-ce que pendant un moment, pensez aux centaines de compatriotes rejetés par cette terre, humiliés, traités comme des bêtes et qui ont participé à la construction de ce bâtiment au prix de leur sueur et de leurs sang...