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Thursday, January 14, 2016

HAITI TOUS LES 30 ANS



TOUS LES 3O ANS 


Les  « Martelly Years » annoncent une société capable de renouer avec la beauté, l’art et la paix






E
ntre 1946 et 2016  soixante dix ans se sont bel et bien écoulés au prix de changements très profonds dans la société haïtienne. Si l’on se donne la peine de prendre la mesure de ces métamorphoses, on se rendra compte qu’il aura fallu deux et presque trois générations pour faire d’Haïti un pays neuf , avec des paramètres qui s’appellent l’éducation ; l’espérance de vie, les infrastructures et bien sur une  nouvelle perception de la société et surtout un nouveau regard  sur soi, c'est-à-dire sur  les hommes et les femmes qui, sans même s’en rendre compte, orientent le cours des choses, c'est-à-dire l’histoire.


En serrant de plus  près l’observation, il se dégage une constante trentenaire ; en termes plus précis, un cycle de trente ans au cours duquel la vie et la vision des choses changent   en bousculant le passe sans toutefois  maitriser le futur.  1946  annonça, qu’on le veuille ou non, un réveil de la conscience, une volonté de sortir des sentiers battus qui ne limitaient pas seulement au mythe coloriste.  La justice sociale, une autre donne dans la RES publica était sans doute sous-jacente aux cahiers de doléances qui agitaient les masses, mais ce qui était sur, c’est qu’on ne voulait plus  de la routine d’un establishment qui ne voyait pas se profiler le péril démographique, lequel péril  inquiétait déjà les Nations Unies naissantes.

 Trente ans plus tard, au tournant des années 70, le drame rural et l’éclatement  des dernières habitations coloniales disait finalement  que l’intermède Magloire et Duvalier n’étaient pas tout à fait garants de la paix sociale à venir. Par la suite, impatient de donner un visage cosmopolite a la société traditionnelle, Jean C Duvalier sacrifia sans s’en rendre compte le monde rural a la modernité. C’est du moins l’opinion du professeur Leslie F Manigat.  Vers la même époque, également, le conflit israélo arabe eut des répercussions dans une Haïti restée agraire, et J C Duvalier confiera plus tard que les services secrets palestiniens et israéliens s’affrontaient dans le sang au pays de la magie vodou. Autrement dit, l’isolement d’Haïti, terre d’immigration, ne nous sauvait pas de la perméabilité  aux grands courants d’une mondialisation avant la lettre. En trente ans donc, Haïti sortait du passe, sans payer le prix qu’il fallait aux facteurs de modernité dont l’éducation et le réaménagement spatial. C’est bien en fait une sorte de choc du futur, avec la seule différence que la vague du futur soulignée en 1961 a Berlin par John F Kennedy n’apportait ni le communisme ni la croissance, malgré la proximité  des USA, la plus grande démocratie d’alors.

Donc, trente ans plus tard, a compter de  1946, 1976 apporta l’illusion de la modernité et en même temps le danger du  «  piétinement sourd  des légions qui montent », malgré l’âge d’or de la fin des années 70 que les chercheurs américains comparèrent au pétillement  des années  50 sous  Paul Magloire. Ces décennies finissantes inaugurèrent l’ère des migrations sauvages et des boat people. Haïti ne pouvait plus nourrir son excédent humain et l’on comprendra que la libéralisation des institutions était une chose et la géographie de la faim une autre chose. Mais la politique étant cynique, les marchands d’illusions de ces années déjà folles trouvèrent sans trop d’efforts les boucs émissaires. Les années 80 devaient sonner le glas de la vieille Haïti que le français Jacques Barros  considérait comme l’ultime bouclier contre l’américanisation sauvage.

A partir de 1986, la bride sur le cou,  Attila  et ses chevaux s’en tirèrent a bon compte ; le feu, le sang, la destruction étant la réponse aux derniers craquements d’un ordre social vermoulu .Contrairement aux manifestations innocentes des lycées et collèges de décembre 56, c'est-à-dire trente ans plus tôt, sous Paul Magloire, la politique était devenue l’affaire de tout le monde, parce que la radio  et les brigades de vigilance faisaient de tout nequam un leader. En confiant le pouvoir à tout le monde, la démocratie creusait son propre tombeau ; et c’est pourquoi notre époque réclame la paix quelquefois  même aux dépens des  libertés constitutionnelles. Pour sûr, passé le temps des incendiaires, des assassins et des vandales, le besoin d’un chef se fait sentir ;  malheureusement comme vers 1910, un maitre étranger n’est pas à exclure, parce que, même avec les meilleures intentions du monde, il n’est pas toujours facile de faire  un tant soit peu de bien à Haïti.

La vie étant cependant, ce qu’elle est, les beaux jours et les frémissements du futur ne sont pas non plus au dessus des potentialités et des espérances nationales, tant s'en faut. Les assassins et les matamores finiront   eux aussi, par  rêver  aux siestes tranquilles de la vie et de ces fins de jours  qui reposent. Même si la lassitude gagne les âmes et que le désespoir est devenu le spectacle des populations  longtemps livrées à elles mêmes, les  « Martelly Years » annoncent une société capable de renouer avec la beauté, l’art et la paix.  Il est intéressant de souligner que trente ans apres1986, Haïti  se prépare à retourner a la terre, aux jardins et aux rites agraires, ruinant la thèse qui veut que le sang et la violence soient le moteur de l’histoire.  Si   trente après 1976, 2006 a vu s’installer chez nous, l’opération Bagdad,  et ses violences, 2016 promet d’ouvrir l’ère  de l’entreprenariat  sur fond de libération du génie national. Malgré le désastre écologique qui nous guette, le prochain rendez- vous de l’homme haïtien réconcilié avec sa terre rappellera étrangement que la terre continue de vivre en nous et nous dans la terre.

C’est pour tout dire  une telle dualité qu’il faudra un jour sauver.