LE LION ET LE CHASSEUR
Par
Frantz Bataille, ancien directeur du
Petit Samedi Soir
P
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Lion de la savane africaine |
ollux St jean avait déjà levé son fusil, sa proie dans sa
ligne de mire. Les soldats en poste aux carrefours et sur les toits avoisinants
n’avaient nul soupçon qu’en cette matinée de 1985 le jeune président haïtien
Jean Claude Duvalier n’en avait plus pour longtemps. Les tueurs en général ne se posent pas de question, parce qu’en
arriver à leur fin était tout ce qui valait a leurs yeux. Retranché àl’hôtel Topaze, a six mètres des
Casernes des Gonaïves, Pollux St jean,
rentré clandestinement au pays et déjà a la solde du Dr Lionel Laine, voulait être ce héros choisi par le destin
pour remplir une sorte de sacrosainte mission. Mais, au moment de presser sur
la détente, un complice le dissuada de porter son coup ; « c’en eut
été trop pour la ville des Gonaïves ; les conséquences seraient
incalculables » nous confia plus de vingt ans plus tard, ce complice qui
n’en était pas vraiment un. Pollux St Jean abaissa son fusil. Jean C .Duvalier,
entouré de sa garde rapprochée, put ce jour –la se rendre a l’église et même visiter quelques notables.
Le president J C Duvalier |
Les témoins et les services de renseignements haïtiens,
au début des années 80, n’avaient aucun
doute. Un malaise général s’était installé en Haïti. En janvier 1983, des
bombes avaient commencé à éclater dans un Pt-au-Prince jusque là tranquille.
Peu de temps après l’équipée de
Bernard Sansaricq à l’ile de la Tortue,
un avion type Cessna atterrissait sur la
nationale numéro 2, en provenance, raconte-t-on de la Jamaïque et prenait a
bord un commando qui avait raté son coup
non loin de Boutilliers. Le fidèle et capable colonel Christophe Dardompré n’en
revenait pas. Encore une fois, Jean Claude Duvalier venait de l’échapper
belle ; une mitraillette 50 l’attendait dissimulée quelque part qui devait
balayer la voie. Une jeune américaine aurait perdu la vie dans cette affaire.
Les années 80 annonçaient vraiment la fin, pensait-on, sauf que l’équipe en place dans les services d’intelligence haïtienne,
l’une des meilleures de la région aux dires des experts américains, remontait
toujours la piste de ces attentats en série.
« Nous savions bien qui était derrière les
assassinats qui se multipliaient au début des années 80 » affirme l’une
des plus intéressantes figures de l’armée haïtienne, le brillant colonel Jean Valme. Le chef de la
milice des Cayes, le sympathique Gérard Valère, était du même avis. On lui
avait demandé de trancher la question, mais, précise Valere, le préfet des
Cayes avait traine les pieds, et les choses étaient restées au point mort. Malgré
les efforts déployés à la 48 ème compagnie du colonel Dardompré, complots et tentatives d’assassinat se succédaient
les uns les autres.
Le réseau était relativement bien huilé. Sous le couvert d’activités techniques, de
jeunes agronomes affectés dans les hauteurs de Paillant, se relayaient les
instructions inspirées de la Fondation France Liberté de Mme François
Mitterrand, ce qui vaudra plus tard à
certains d’entre eux de faire la prison. Dans le Sud, à Camp Perrin,
sous des apparences innocentes, la gauche multipliait ses cellules autant que dans le Plateau Central où une
jeune française avait en 18 ans presque évangélisé une bonne partie de la jeunesse.
Au milieu des années 80, le fruit était
quasi mur. Les directeurs de chapelle installés dans le pays profond
embrigadaient de gré ou de force les pauvres ouailles, en particulier les
femmes enceintes qu’ils menaçaient
presque d’excommunation si elles se montraient tièdes à l’ endroit de la
nouvelle étoile montante : Jn B. Aristide.
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t Jean Bosco était déjà le bastion d’une certaine
opposition, celle- là violente, au grand désespoir du P. Messidor. Les grands
noms de cette paroisse limitrophe de la Croix des Bossales et des marginaux de
la basse ville avaient perdu de leur aura : Le P. Diebbes, et notamment le
P. Volel. Belges et Hollandais se mêlaient impunément de la politique
haitienne. On dira plus tard qu’ils
repondaient de la gauche européenne ou même internationale. Tandis que
sournoisement les levantins faisaient
pas mal d’avancees dans la politique
locale, le conflit israelo- arabe avait des échos en Haiti, au point que entre 1976 et 1979, palestiniens et
isreliens s’affrontaient en Haiti et comptaient même des victimes dans les rangs de leurs services secrets.
On peut toujours se demander ce qu’Haïti avait à voir
avec de telles hostilités qui remontent au temps d’Abraham. En 1982, chassés
par la guerre du Liban, de jeunes libanaises ne parlant ni créole ni anglais
ouvraient leurs comptoirs dans l‘aire de la Croix des Bossales et amassaient
une fortune en peu de temps. A l’époque, dans un article intitule « les
Chiens de guerre » la Mossad, soulignait-on, avait compté dans ses captifs
des arabes parlant le créole haïtien. En fait, des ressortissants arabes de la génération
de 1950 avaient fait leurs premières armes en Haïti. Ils pouvaient des lors épouser
la cause arabo-palestinienne, mais en même temps, ils en voulaient au fils de François
Duvalier qui passe cependant pour avoir
tenu l’étrier à leurs familles, au grand dam des mulâtres. On va retrouver vers 1980 quelques uns d’entre eux
tissant autour des Duvalier un réseau que plus tard on aura tendance à qualifier de
terroriste. Un Jaar allait jusqu'à dire, les larmes aux yeux, que le nom de sa famille était dans la
bible : dans le jardin des Jaar », ce qui était exact
Mais, à la même époque, les américains veillaient au
grain. C’est le moins qu’on puisse dire. Le phénomène arabe avait essaimé en
dans l’Amérique située au Sud du Rio Grande et en Amérique centrale. Les
Handal, les Zuraik, les Acra se retrouvaient aussi bien a Santo Domingo qu’au Salvador ou l’une des figures du parti
communiste s’appelait Shafik Handal. En soi rien de menaçant. Cependant, les rivalités
israélo-arabes avaient la vie dure. A la Jamaïque, a Santo Domingo et en Haïti, sur fond
de raidissement israélien, et
de radicalisme néo palestinien, une
ligne se déroulait suivant deux axes, l’un d’inspiration néolibérale, l’autre
de tendance jugée a l’extrême maoïste, mais tous deux enchevêtrées dans la
question arabe qui n’était pas sans
brouiller les cartes.
Sur ces entrefaites, vers 1985, en Haïti, l’usure avait
gagne les institutions et dans la vie quotidienne,
l’essoufflement s’était installé dans les esprits. Le fils de François Duvalier
avait survécu à plusieurs attentats, non seulement à celui de Pollux St Jean mais aussi à celui
d’un groupe qui avait financé l’achat de son propre arsenal. Il est étonnant
qu’on le retrouve aujourd’hui jouant les victimes et les accusateurs. Partout
ailleurs, un individu surpris à conjurer
la perte d’un homme d’état ne se
connait d’autre identité que celle de terroriste. Depuis 1986 qui ouvre une ère
d’impunité et de délinquance politique, la vie humaine est assujettie à la loi
da la foule et des media en délire. Faut-il encore rappeler que la foule n’est
pas le peuple, que le cri n’est pas la parole, que le chantage n’est pas le
droit.
Plus tard, l’église
ayant paye le prix qu’il faut a la politisation, les adeptes du terrorisme en
herbe convertis en chantres de la démocratie, ceux qui rêvaient du grand soir rouge et
d’apocalypse s’affrontent déjà malgré eux aux balbutiements de la
globalisation. Le monde n’est plus un monde étroit dans lequel les visages pales de Amnesty International prétendent
jouer les juges aux dépens des pays faibles, ce qui conforte tant soit peu la cinquième
colonne historique haïtienne ; mais, céder à plus misérable que soi ne sera jamais de la bonne politique.
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es assassins n’auront pas lâché prise, tant s’en faut. La
voie duvaliériste rappelle étrangement la voie Appia ou Rome crucifiait ses condamnes, au
troisième siècle av. J.C. En plus d’un
quart de siècle, a compter de avril 1963 jusqu’aux desseins inavoués du
juge Jean Joseph Lebrun, lui-même à la
solde d’un ancien ministre de la justice lavalassienne, les duvaliéristes n’ont jamais eu la partie belle. A l’automne
1958, l’attentat à la caserne de Kenscoff laisse 5 morts la plupart tues en
plein sommeil. Au printemps 1959, Albert
Georges en détournant une unité de
l’aviation commerciale haïtienne sur Cuba et en assassinant le pilote Eberle
Guilbaud, ouvre la saga du terrorisme aérien devant culminer en septembre 2001
avec le raid de Ben Laden au World Trade Center. En 1960, contrairement à la
pastorale dominicaine de janvier qui scella le sort de Rafael L. Trujillo, l’épiscopat
haïtien en majorité breton n’arrive pas à
renverser Duvalier qui brisa les reins aux derniers colons en soutanes. En avril 1963, Duvalier
enterrait ses soldats dans ce qu’il est convenu d’appeler « the Haitian
Spring », tandis qu’a ‘automne 1964, les guerrilllos de Jeune Haïti
rendaient le dernier soupir en pays Goman, sur le Massif du Macaya. Plus tard,
en 1986, macoutes, vaudouisants, sympathisants
et classes moyennes duvalieristes succombaient à l’autel d’une presse à
laquelle il fallait du sang. Mais, voie royale
ou voix maudite, toute voie est humaine même quand victimes et
bourreaux se la partagent au nom de l’histoire et de ce qu’elle contient
d’exclusiviste. Il se trouve malheureusement que les victimes ne sont pas toujours uniquement dans le camp qui était le seul à hurler.
Parce que Les meilleurs fusils d’Afrique ont laissé chez
la famille du lion autant de veuves que d’orphelins, le chasseur devient un
personnage honorable que l’on reçoit dans les grands salons de la reine
Victoria, pour avoir abattu d’un coup de
fusil cet animal carnassier qui menace le genre humain. Et de mémoire d’homme, c’est au lion qu’on en veut. Mais, quand la même histoire est décrite par
le lion, l’histoire change de perspective parce que c’est l’homme au fusil qui promène
la mort jusque dans la tanière du lion
acculé hélas à se défendre, lui, sa
famille et son futur.
Le lion attend encore son historien.