Haiti
Les Derniers
Africains
1.- Marie Lourdes s'ouvre enfin
M
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arie Lourdes, une
fillette alors au port de reine, se souvient plus d’un demi siècle plus tard. «
Manman Coyotte, une grosse femme comme on en trouve encore en Afrique de l’Ouest,
s’asseyait, faisait venir la marmaille, c'est-à-dire, tous les enfants du lakou
Abraham, située vis-à-vis de la loge Grand Orient, et la, devant son
baril rempli de feuilles macérées, elle coupait légèrement a la hauteur du bras ;
le sang giclait, mais séchait bien vite. Manman Coyotte ajoutait quelques
feuilles comme pansement. Le gamin suivant arrivait, et le lendemain, tous les
bambins du lakou savaient que Manman Coyotte les avaient marqués.
C’était, on le
saura plus tard, une sorte de « garde », ce talisman tracé à même la chair. « Nous étions
protégés contre les maléfices et le mauvais sort », répétera Mie Lourdes.
Sainterlonge Abraham avait été remplacé par son fils Alexandre, un prêtre vaudou
à la voix d’or, le meilleur baryton de la Caraïbe, laissera-t-on entendre dans
les milieux ethnologiques proches de Lamartiniere Honorat, un anthropologue
hors pair, qui à plus de 90 ans, représente le dernier des griots. Marie
Lourdes D…revoit encore les personnalités de ces années 50 hanter jour et nuit le houmfort de Sainterlonge. Un milieu
vodouisant qui fit alors une place de choix à la chanson et à la danse, Lakou
Abraham incarne ces survivances de la première moitie du 20 ème haïtien, hésitant
entre une Afrique tenace et une Amérique curieuse, mais arrogante du mois pour
les générations ayant grandi sous l’occupant. Malgré la caricature qu’en a fait
le consul anglais St John au 19 ème siècle, Haïti reste encore une Afrique qui
s’ignore.
L’épiphanie, avec
son rite d’initiation conduit sous le signe du sang, Maman Coyotte l’a vécue
avec cette foi élémentaire qui n’est pas sans rappeler Velléda .Dans les
Martyrs de Chateaubriand, Velléda frappe un arbre de la foret gauloise en disant :au gui l'an neuf . Comme la garde de Manman Coyotte, essentiellement marquant un rite de passage, le sang des gamins marque
une sorte de changement d’ordre cosmique. Plus tard, à la fin de l’année, vers
le mois de Novembre, la cérémonie MANGE IAM rappelera
un peu la Guinée heureuse ou l’on continue encore à manger le riz au poisson
pendant qu’on se remémore les femmes poissons qui se confondent chez nous avec
les « maitresses dlo ». D’autres
cérémonies seront tenues sous les arbres reposoirs, mapous tricentenaires où se
reposent, estime-t-on, les dieux et les esprits de famille. Lors des grandes
campagnes anti vodou, Dieu seul sait combien l’abattage de ces arbres a sapé
les repères psychologiques et émotionnels d’un peuple vivant dans le déchirement
toutes sortes d’inquisition.
Au pied du Morne Aquin,
les derniers patriarches assument des fonctions de banquier et de trésorier.
Malade, Mérita C…s’en remet à l’aïeul pour les frais médicaux. A la Cahouane,
Tolemme Cherestal, chef de section pendant plus de 30 ans, exerçait une autorité insoutenable. On se taisait en sa
présence, et le silence qui s’en suivait permettrait d’entendre la chute d’une
aiguille. Chefs de tribus se partageaient jusqu'à récemment le territoire
rural. Le heurt entre les groupes de rara de Leogane renvoie à cette Afrique
encore tribalisée. Les manuscrits du députe Gabriel Lerouge racontent a voix
basse ces chocs de titans qui s’ensuivaient quand les derniers Africains de la première
décennie du 20 eme siècle vidaient leurs querelles, avant le sac de Fort rivière
rasé par Smedley Butler, le fondateur de la gendarmerie haïtienne vers 1919.
Mie Lourdes s'affaire |
L’occupant américain
a épilogué a loisir sur les « Cannibals
Cousins du capitaine John Huston Graig. Mais, plus prés de la vérité, est le
livre de Katherine Dunham, Island Possesed. On y trouve des histoires de
cannibalisme, ce qui néanmoins reste à vérifier. Une fois, sous Borno, une mère accusée "d'avoir
mange » son propre enfant a été tout simplement passée par les armes. L’affaire
a lieu à Grand Goave. Remémorons un peu l’affaire jeanne Pèle sous Geffrard. Le
sensationnalisme et le pittoresque se sont toujours tissés aux dépens de la
verité. William Seabrook dans Magic Island va plus loin en racontant comment
Celestina Simom, la fille du Président
Antoine Simon sacrifiait les soldats du palais à ses dieux vaudou.
Naturellement, pour choquants que fussent de telles allégations, elles devaient
néanmoins susciter autant d’intérêt que de curiosité intellectuelle durant la
seconde moitie du 20 ème siècle. Le
tourisme devrait y trouver son compte. Et une certaine probité aussi.
( A suivre)
2.- Les Tambours de la Foret Malienne