Entre L'histoire et
La Mer.
C'est entre ces deux mondes que mon enfance s'écoula,
hantée par une fragilité qui était a la limite du dénuement. Ma mère qui vivait
alors ses années solaires ne sut point comment sacrifier aux dieux de la
prospérité parce qu'elle était restée renfermée dans son passé de fille du pays
profond. Mon frère Pierre et moi, nous vivions dans ce monde, heureux
déjà que nous puissions rêver a ce qu’il pouvait avoir de
permanent dans le bonheur.
Autour de nous, les ruines du 19 eme
siècle disaient que le quartier n’était pas si pauvre qu’on le croyait. Les
murailles envahies par une végétation ingrate se renfermaient sur quel passé,
je ne saurais le dire. Mais, tandis que la pauvreté ambiante annonçait déjà
l’exclusivisme si fort dans notre société, je me refugiais dans la
contemplation de ces gloires défuntes. J’ai su par la suite que le général
Pétion n’habitait pas trop loin et qu’il fréquentait la loge des Cœurs Unis et
le Grand Orient. Les traditions surtout orales n’avaient point retenu ces
époques lointaines. Je me contentais en revanche de ce silence
épais qui envahissait les grands espaces abandonnés des loges
maçonniques. C’était une sorte de consolation. A part les danses
vodou périodiques, il n’y avait pas grand-chose pour faire de mon enfance une
enfance heureuse. Pourtant, j’étais heureux.
Non loin,
passe l'édifice des Frères du Bicentenaire, la mer s'étendait si immense que
j'ai commence tres jeune a me demander ce qu'il y avait au delà. Un ciel
bleu, des navires qui disparaissaient à l’horizon, ces images réveillaient dans
mon quartier pauvre des désirs d’évasion vers ces terres lointaines dont
parlent les géographes et leurs manuels colores. Chez les Frères déjà, tout ce qu’il
y avait autour de nous, les maitres, les réfectoires, l’odeur qui s’en
dégageait a l’heure des repas, tout parlait d’un monde contraire et qui n’avait
rien à voir avec mon milieu. A l’école, donc, j’en avais pour mon compte avec
mon appétit d’évasion. Les rêves commençaient à suppléer à mon environnement.
Pourtant, devenu grand, en terminale du primaire, j’ai compris que ces quêtes
de l'ailleurs n’avaient pas toujours ces resplendissements que l’on
croyait. Les tambours faisaient notre honte, mais elles charriaient comme un
torrent une puissance de vie!
Ces chevaux
du Montana, US ressemblaient aux miens, sauf qu’ils étaient mieux nourris
et plus forts. Mon ciel était bleu, et mes gens à moi, même dans le dénuement
conservaient une humanité qui me paraitra plus tard bien consolante. Maintenant
qu’ils sont tous partis sous les terres humides du matin, le regret devient
désormais la rançon à payer à l’ingratitude et a l’indifférence. Je n’ose
plus parler de la richesse des pauvres, ce serait une insulte à la misère et à
la détresse physique. Toutefois, il y aura toujours quelque chose de plus
grand que nos comptes en banque et nos conforts fragiles. Son nom n’est autre
que le temps qu’il faut prendre pour se retrouver dans ce qui semble si loin de
nous.
Contre mes fragilités et mon dénuement, l’histoire m’était devenue comme un refuge égal a tous les mirages de l’avenir. Je tentais de comprendre sous la poussière des siècles ce que le passé pouvait receler de richesse et de beauté.
( A suivre)