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Wednesday, January 28, 2015

Paula Castor Gourgues d'Aquin

Elle n'aura servi que 3 Dieux:

La famille, l’éducation et Haïti




Elle arrivait tous les matins au Lycée Toussaint Louverture entre 9 heures et 10 heures  AM; c’étaient pendant les années 60  qu’on dira plus tard explosives et volatiles.

Mme  Gourgues née Paula Castor mettait alors  une régularité presque d’automate dans la classe de français qu’elle  donnait avec autant de passion que d’engagement comme si elle voulait par-dessus tout laisser , pas sur le sable du temps, cet amour des livres et du savoir qui restera comme son propre héritage chez ces gamins que nous étions et qui, en l’espace de quelques années, emporteront d’elle une image d’élégance , de raffinement et de sérénité dans un monde maintenant bouleversé.

Les années 60 étaient des années de feu, non seulement en Haïti, mais dans son voisinage immédiat caribéen. Malgré cette fragilité et cette paix de volcan,  l’enseignement en  Haïti avait ses héros et ses croisés. Madame Gourgues était l’une  de ces belles figures qui semblaient sortir de cette aristocratie de province que Balzac décrit si bien dans le Lys  dans La Vallée.  À cette époque, l’histoire n’avait pas ce rythme qu’on lui connait de nos jours. Beauté tranquille,  Mme Gourgues paraissait tant au physique qu’au moral résister aux pièges de ces années de contestation placées plus tard sous le signe de la révolte hippie et bientôt de mai 68. 

L’éducation élevée déjà au niveau d’un mythe était sa première divinité, à la fois publique et secrète. Née d’une famille aquinoise qui continue de tisser sa légende entre une histoire tenace et ces mers porteuses d’aventures, Mme Gérard Gourgues s’épanouissait dans un Port au Prince encore patricien, même si l’arrivée  de ces masses exclues trop longtemps de la croissance  lui faisait déjà l’effet d’un campement tartare. Le mérite de cette grande dame, c’est qu’elle allait jeter sur ces représentants des terres bossalles  le fumier du savoir et de l’esprit.  Comme M. de la Palice qui faisait des vers sans le savoir, Mme Gourgues faisait aussi de la révolution à sa manière. Aujourd’hui, c’est avec une pointe d’orgueil qu’elle rencontre dans les avenues du pouvoir et de l’administration ses anciens élèves qui lui en surent gré.

Elle avait dans son rogatoire un autre dieu qui a pour nom la famille.  La également, elle connut  ces moments de bonheur sans égal qui rappellent ces morceaux de ciel bleu guettés par des nuages. Un mari épris de lettres et revenu d’un Paris qui donnait alors le ton au reste du monde, les premiers pas d’une trinité de fillettes  sorties comme des romans de Proust et qui allaient d’un pas incertain a la fête Dieu, une élégance qui faisait qu’on se retournât sur son passage, Mme Gourgues arborait sous un large sourire une sérénité que la mort prématurée de sa jeune sœur Yanick n’avait pas éteint  tant  il était  difficile de saisir alors ce qui faisait alors sa force. Elle   savait longtemps déjà que pour sortir de l’emprise du besoin et des contraintes matérielles, il fallait prendre refuge derrière les boucliers de l’illusion.

Famille, savoir,  projets d’avenir enrobés sous le manteau des rêves,  autant  en emporte le vent, prétendent  ces romanciers qui se lancent, portés par des chevaux  à la imite de l’ivresse  jusqu’aux portes de l’éternité. Mme Gourgues avait pris cependant le temps de se découvrir un autre dieu qui rappelle la patrie charnelle de Charles Péguy. Le nationalisme chez les petites gens se résume aux danses, aux récoltes  et  à ces rites de passage qui jalonnent le calendrier agraire ; la différence veut que chez Mme Gourgues, la vision d’une Haïti relevée de ses ruines morales laissées par l’histoire et  l’épanouissement d’une jeunesse rassurée enfin sur son avenir valait toutes les batailles. 

Me Gérard Gourgues a partagé avec sa femme la passion de la chose publique. Haïti reste une entité que l’on doit aimer parce qu’elle annonce  tôt ou tard l’humanisation de notre planète. Toute sa vie .cette grande dame de l’esprit savait que de son vivant elle ne verrait pas comme les chevaux d’Hamilcar le soleil se lever sur Carthage. Mais, l’espoir de la lumière est une consolation contre  le crépuscule qui traîne et l’aube qui s’attarde quelque part. Le temps de la renaissance est proche.

Voilà pourquoi Paula Castor Gourgues peut partir en paix.