Elle n'aura servi que 3 Dieux:
La famille, l’éducation et Haïti
Elle arrivait tous les
matins au Lycée Toussaint Louverture entre 9 heures et 10 heures AM;
c’étaient pendant les années 60 qu’on dira plus tard explosives et
volatiles.
Mme Gourgues née Paula Castor mettait alors une régularité presque d’automate dans la classe de français qu’elle donnait avec autant de passion que d’engagement comme si elle voulait par-dessus tout laisser , pas sur le sable du temps, cet amour des livres et du savoir qui restera comme son propre héritage chez ces gamins que nous étions et qui, en l’espace de quelques années, emporteront d’elle une image d’élégance , de raffinement et de sérénité dans un monde maintenant bouleversé.
Les années 60 étaient
des années de feu, non seulement en Haïti, mais dans son voisinage immédiat
caribéen. Malgré cette fragilité et cette paix de volcan, l’enseignement
en Haïti avait ses héros et ses croisés. Madame Gourgues était l’une
de ces belles figures qui semblaient sortir de cette aristocratie de
province que Balzac décrit si bien dans le Lys
dans La Vallée. À cette époque, l’histoire n’avait pas ce
rythme qu’on lui connait de nos jours. Beauté tranquille, Mme Gourgues
paraissait tant au physique qu’au moral résister aux pièges de ces années de
contestation placées plus tard sous le signe de la révolte hippie et bientôt de
mai 68.
L’éducation élevée
déjà au niveau d’un mythe était sa première divinité, à la fois publique et
secrète. Née d’une famille aquinoise qui continue de tisser sa légende entre
une histoire tenace et ces mers porteuses d’aventures, Mme Gérard Gourgues
s’épanouissait dans un Port au Prince encore patricien, même si l’arrivée
de ces masses exclues trop longtemps de la croissance lui faisait
déjà l’effet d’un campement tartare. Le mérite de cette grande dame, c’est
qu’elle allait jeter sur ces représentants des terres bossalles le fumier
du savoir et de l’esprit. Comme M. de la Palice qui faisait des vers sans
le savoir, Mme Gourgues faisait aussi de la révolution à sa manière.
Aujourd’hui, c’est avec une pointe d’orgueil qu’elle rencontre dans les avenues
du pouvoir et de l’administration ses anciens élèves qui lui en surent gré.
Elle avait dans son
rogatoire un autre dieu qui a pour nom la famille. La également, elle
connut ces moments de bonheur sans égal qui rappellent ces morceaux de
ciel bleu guettés par des nuages. Un mari épris de lettres et revenu d’un Paris
qui donnait alors le ton au reste du monde, les premiers pas d’une trinité de
fillettes sorties comme des romans de Proust et qui allaient d’un pas
incertain a la fête Dieu, une élégance qui faisait qu’on se retournât sur son
passage, Mme Gourgues arborait sous un large sourire une sérénité que la mort
prématurée de sa jeune sœur Yanick n’avait pas éteint tant il était
difficile de saisir alors ce qui faisait alors sa force. Elle
savait longtemps déjà que pour sortir de l’emprise du besoin et des contraintes
matérielles, il fallait prendre refuge derrière les boucliers de l’illusion.
Famille, savoir,
projets d’avenir enrobés sous le manteau des rêves, autant en
emporte le vent, prétendent ces romanciers qui se lancent, portés par des
chevaux à la imite de l’ivresse jusqu’aux portes de l’éternité. Mme
Gourgues avait pris cependant le temps de se découvrir un autre dieu qui
rappelle la patrie charnelle de Charles Péguy. Le nationalisme chez les petites
gens se résume aux danses, aux récoltes et à ces rites de passage
qui jalonnent le calendrier agraire ; la différence veut que chez Mme Gourgues,
la vision d’une Haïti relevée de ses ruines morales laissées par l’histoire et
l’épanouissement d’une jeunesse rassurée enfin sur son avenir valait
toutes les batailles.
Me Gérard Gourgues a
partagé avec sa femme la passion de la chose publique. Haïti reste une entité
que l’on doit aimer parce qu’elle annonce tôt ou tard l’humanisation de
notre planète. Toute sa vie .cette grande dame de l’esprit savait que de
son vivant elle ne verrait pas comme les chevaux d’Hamilcar le soleil se lever
sur Carthage. Mais, l’espoir de la lumière est une consolation contre le
crépuscule qui traîne et l’aube qui s’attarde quelque part. Le temps de la
renaissance est proche.
Voilà pourquoi Paula
Castor Gourgues peut partir en paix.