PARIS VAUDRA TOUJOURS UNE MESSE
par Frantz Bataille,
ancien directeur du Petit Samedi Soir
Juin 1963
Ce sera le dernier été pour John F.
Kennedy.
Croix de feu bon teint, De Catalogne est
un monarchiste qui ne jure que par Charles Maurras, son maitre à penser. La
lettre a de Gaulle est un hymne a l’héritage latin qui célèbre en même temps le
champion des décolonisations africaines. De Ca, comme le surnomme
Duvalier, fait jouer ses contacts au Quai d’Orsay. De Gaulle se montre sensible
à la cause noire. Il dépêche en conséquence son lymphatique ministre des
Affaires Etrangères, Courve de Murville a Washington. Le White House le reçoit le
25 mai, a 11 H. AM, soit plus 8 jours après la date
d’expiration de l’ultimatum JFK à Duvalier fixe au 15 mai 1963. L’ambassadeur
de France Herve Alphand accompagne le ministre.
« Welcome » salua le jeune président
américain, comme de Murville franchissait le seuil du bureau ovale. A brule
pourpoint, il engagea le dialogue.
-Comment les choses se passent
chez vous, M. Le ministre.
-On n’a pas à se plaindre, enchaina de
Murville. Il y a une expansion économique. La seule chose à redouter, c’est
l’inflation, ajouta le diplomate.
Ce n’étaient que généralités et fair play
diplomatique bien à propos en cette fin de printemps en Amérique. Le president
passa tout de suite a l’essentiel en soulignant la question du Laos
et du Vietnam, non sans un appel du pied au Moyen Orient. Puis, sans trop
tarder, il en vint comme de manière impromptue au dossier de
l’heure en demandant à l’émissaire de de Gaulle comment il voyait la
situation en Haïti.
Mai 1963 Le Boxer, Porte Avions, dans les eaux territoriales haitiennes |
Pas d’autre Cuba…
« Nous avons une communauté de plus
de 800 français en Haïti » rappela le ministre à l’attention du président américain,
propos qui renforcent l’orientation de la politique africaine de de Gaulle.
« L’Afrique est d’ailleurs une région en pleine exultation d’autant que
nous avons fini par aboutir a un accord avec la Guinée de Sékou Toure »
avait souligné le ministre tout au début de cet entretien si éloquent
par ses silences. JFK parut même agressif et curieux, venant même à
mentionner la lettre de Duvalier à de Gaulle. Ce n’est que coïncidence, répondit
le ministre qui arrivait à Washington peu après la lettre responsive du Général.
En tout cas, conclut Kennedy, nous ne sommes pas prêts à tolérer, dans la Caraïbe,
un autre régime pro-castriste. Nous interviendrons si tel est le cas.
Dans le doute, le sage s’abstient,
disent encore les Latins. De la Baie des cochons a la
crise haitiano-dominicaine de 1963, JFK sut montrer de l’hésitation ou de la
prudence, au gran dam des faucons. Un autre Cuba restait une possibilite, concluaient presque d’une
seule voix les notes des diplomates et celles des services secrets, expérience
que. Kennedy n’était pas du tout prêt à renouveler. Autant pratiquer la
politique du wait and see.
Quant a la flotte Amphibie Atlantique,
elle avait déjà recule des mers haïtiennes depuis le 23
mai, comme avec les vagues qui l’avaient emmenée
Magie noire vs Magie Rouge
François Duvalier était alors d’une
subtilité sans pareil et montait comme un flair animal à jouer ce jeu d’échec.
Son émissaire européen Gérard de Catalogne s’était montré digne de la confiance
placée en lui. De passage à NY, alors que le torchon brulait encore entre
l’administration Kennedy et le caudillo haïtien, il tint une conférence de
presse presque à titre de ministre de la propagande. Aux dires de René Julien
qui le tient lui-même de de Catalogne, Duvalier tenait en permanence
un compte ouvert à Chase Manhattan Bank, pour les besoins de sa cause. De
Catalogne reçut un blanc seing de Duvalier pour faire un tirage substantiel,
l’intendance ne pouvant plus attendre. Peu de temps après, l’haitiano-français
connu pour ses options de droite et conservatrices, réunit un parterre de
journalistes pour leur dire : En cas d’échec de Duvalier, c’est non
seulement les DOM-TOM français qui tomberont dans l’orbite soviétique, mais
également le Venezuela, l’Argentine, le Mexique. En un mot, toute l’Amérique
latine tombera comme des dominos. » . Le NY Times opposait déjà la magie
noire de Papa Doc à la magie rouge de Castro. Au recul de la vague, début juin
1963, le vent avait commencé à tourner.
La victoire de François Duvalier
conforte de Gaulle, l’homme des décolonisations africaines. Nostalgique des
grandeurs défuntes, le chef français croit dans l’autodétermination des
peuples, et dans le cas d’Haïti, alors fidele a la latinité et aux
valeurs républicaines, et menacée d’un impérialisme qui l’ennuie dejà,
ce langage vaut ce qu’il vaut. Le ministre des AE français, Courve de Murville,
n’a pas traversé l’Atlantique pour autre chose, quelque lilliputien que soit
l’héritage latin dans la méditerranée américaine. De Murville que n’aimait pas
Jean Lacouture volait quand même bien haut, ce qui porte à croire
qu’au confluent des impérialismes, Paris, de toute manière, vaudra toujours une
messe.
( Extrait du manuscrit: La Recession des Vagues . C'etaient les annees 60 )