HAITI, 50 ANS PLUS TARD…
FRANTZ BATAILLE
PREMIERE PARTIE
L
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es années 60 restent déterminantes dans la vie nationale. Ce n'est pas que du point de vue politique, la guerre froide battant son plein, n'ait pas eu grand chose à voir dans l'orientation future d'Haïti. Les années 60 représentent surtout un tournant par le simple fait que la société haïtienne a connu à cette époque une accélération dans le processus d'urbanisation. Cette mutation sur fond de grossissement de flux migratoire et d’exode rural va modifier le paysage physique et social avant d ‘avoir des retentissements extra muros aux échos encore mal éteints.
Jusqu’a la fin des années 50, le pays haïtien se caractérisait par une mince frange urbanisée et une hypertrophie insoupçonnée du monde rural. Certes, choque par cette cassure et cette dichotomie sociale, de prestigieux auteurs mettront les autorités en garde contre le choc en retour toujours possible d’un pays coupe en deux. Paul Moral, l’auteur du paysan haïtien, croyait que l’heure des réparations avait sonne. Nous sommes déjà en 1961. Le pays en dehors de Gérard Barthelemy reste encore tranquille, notamment depuis la 3eme guerre caco de Benoit Batraville de 1920, dans le Plateau Central et l’échauffourée de Marcha terre de 1929. La Pax America s’est installée depuis 1934, même si Duvalier va lancer un appel quasi guerrier au monde rural, avec ses VSN. Toutefois, la question haïtienne va se préciser et prendre des proportions de péril démographique dont le massacre des Braceros en RD ne représente que la partie visible de l’iceberg. En fait, le peril démographique est encore vivant, en rappelant que le Sud depuis 1910 et le Nord vers 1920 expatrient respectivement vers Cuba et Santo Domingo leurs paysans sans terre.
En somme, le monde rural sert encore beaucoup plus que de simple attraction touristique. L’agriculture fait vivre les ¾ de la nation. Il faudra attendre les années 80 pour voir le panier de la ménagère se modifier jusqu’a disparaitre au profit des produits importes. Les jardins et cour jardins de Georges Anglade dominent et colorent les travaux et les jours du paysan haïtien. Toutefois, l’exode rural est déjà une préoccupation des pouvoirs publics. Les bidonvilles apparaissent déjà. Elles serviront d’arsenal à la grande colère des pauvres dans les années 90, tout en servant de repaire aux kidnappings et aux chime, veritable bras arme d’une forme de terrorisme d’état.
Donc, de la fin des années 50 à 2010, les faits dominants de la vie nationale se résument dans la détérioration de la vie rurale, la disparition des grandes habitations et la bidonvilisation de l’espace urbain, tout cela sur fond d’explosion démographique.
Les pouvoirs publics sauront –ils se préparer à cette catastrophe inscrite déjà en filigrane dans les différents secteurs de la vie nationale ?
Quoique la réponse a cette question tarde encore à venir, il y a lieu de souligner cette politique de l’autruche que la société a impose aux décideurs alors en place.
Les départs pour l’étranger traduisent comme par compensation l’attrait que l’étranger exerçait déjà sur les élites et les classes moyennes. Amorcée a la fin des années 50, la migration vers l’étranger reste la caractéristique dominante des années 60. De nos jours, l’excuse la plus courante est que des reflexes de survie auraient pousse les élites du savoir et de l’avoir à s’expatrier. La dictature duvalierienne sert encore de prétexte au bovarysme des classes aisées. Au fond, la recherche d’un meilleur style de vie et la poursuite des eldorados motivait et motive encore ces départs. Haïti avait, quoiqu’on en pense, ses cadres. On va les retrouver au Canada, aux USA et en Afrique. Les Antilles françaises servaient de refuge à l’arrière cour d’Aquin et de Fond des Negres. Pour tout dire, au 20 eme siècle, les populations haïtiennes étaient les plus mobiles de la région caraïbe et du sous continent américain, preuve que quelque chose n’allait pas trop bien dans la première république noire du monde.
Les années 80 seront les plus critiques et les plus décisives de cette période instable, témoin d’une véritable déshaitisation, compte tenu du rôle que le mode de vie étranger imposera à l’ensemble de la nation. « L’American way of life » s’infiltre partout, jusque dans nos hameaux recules. La France en perd son prestige et son rôle de référence séculaire. On voyage encore à Paris, mais on achète ses résidences secondaires à Miami et a NY. En 2010, la monnaie américaine est une denrée d’échange. La spéculation prend le pas sur la production. Washington arbitre les différends politiques haïtiens. Haïti n’est indépendante que nominalement.
Il faudrait ici dire que les années 2000 sonnent le glas des indépendances haïtiennes au moment ou l’Afrique noire en est à fêter ses 50ans d’indépendance, non sans mettre en doute la possibilité pour les Haïtiens de se gouverner eux mêmes. Haïti, aux dires du Figaro, était devenu le fardeau du monde blanc. En 2004, Haïti célébrait ses deux cents ans en pleine contestation politique, et presque aux prises avec l’ancienne métropole française. Haïti a glisse depuis sur la pente d’une dépendance révoltante, étant donne la proverbiale fierté de son peuple.
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