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’histoire
même lointaine retient une image peu reluisante de l’empire, le second de la
vie nationale. Quand elle est écrite par les vainqueurs, nous le savons déjà,
cette histoire reste dans sa nature
essentiellement polémiste. En rétablissant
la république, Fabre Geffrad, né en 1806, n’aura pas aidénon plus à rendre justice à son prédécesseur. Les
contemporains prétendirent qu’il aurait eu peur pour sa vie. En prenant les
devants, aux Gonaïves, ce fut , comme à son corps défendant, que Geffrard renversa l’empire. La societé poussa un ouf
de soulagement, epuisée qu’elle était des excès du gouvernement. Mais, C’était
la règle.
Les
tueries d’avril 1848, l’opposition mulâtre et le bilan en termes de vies
humaines assombrirent quelque peu le
tableau. C’est l’opinion du secteur dit éclairé
de l’Haïti d’alors. On oublie d’ajouter
que cette opposition était continue, et qu’on conspirait presque ouvertement à
P-au-P. Le dimanche 16 avril 1848 qui fut fatal à Celigny Ardouin, un des
pontifes de l’époque, éclaire suffisamment sur l’état des esprits et sur
l’attitude de la societe envers le pouvoir. Les echos de ces journees dites
terribles resonnerent au loin, dans la presse d’outre-mer. Soulouque y est représenté
comme un monstre assoiffe de sang, image qui devait survivre jusqu'à notre époque,
ouvrant ainsi les spéculations sur le vrai visage d’un ancien esclave devenu
empereur.
Soulouque
était reste jusque la, un homme, inoffensif, sorte d’oncle tom des Caraïbes. C’est a la limite ce que dit le tandem dans « Caribbean searching
for its destiny’Mais, c’est aussi un soldat qui avait fait les guerres de l’indépendance et qui avait grandi dans un
nationalisme agraire et ombrageux. Militariste
et esclave, il savait ce que pouvait être la discipline. Malheureusement, il se
heurta à une société un peu frondeuse qui, aujourd’hui encore, se croit tout
permis. Le choc créole bossale peut aussi trouver son explication dans cette
dichotomie et cette version dénaturée des rapports sociaux. L’apparition des zinglins du général
Maximilien r fait écho au choc entre les Piquets d’Acaau et de la bourgeoisie du Sud.
« Le pays en dehors » s’agitait déjà non plus sur les collines de la
Hotte, en pays Goman, mais aussi le long des bords de mer qui servent de relais
aux économies périphériques de Caprio.
Quand, autour de la place Geffrard, fief de Fabre, le heurt se produisit avec
les hordes de Maximilien, la preuve était patente que, en moins d’un siècle,
les bourgeoisies indigènes allaient être encerclées dangereusement par les masses affamées, sorte de légion toujours aux aguets et prêtes à répondre a
l’appel des démagogues et des messies.
♦
Haïti
n’avait pas d’un point de vue démographique atteint le million, et pour le
bonheur des élites, le gros de cette population était rural et l’est encore.
Le poids de la dette de 1825, sorte d’hypothèque du passé, rongeait
sourdement l’économie haïtienne, ruinant l’avenir. Ne comprenant pas
grand-chose à ces détails de savant et marqué comme tout survivant de l’ère
Sonthonax par le drame de l’émancipation et des menaces qui planeront sur elle,
Soulouque n’aura de cesse de consolider
l’indépendance qui commençait à façonner le « psyché » haïtien Assoiffé, on dirait, d’espace
vital, l’empereur entreprit et ressuscita les
campagnes de l’Est, pour se protéger contre le danger que nous amenaient
alors tous les vents de la Vega. Les
témoignages de Semexant Rouzier sur ces différentes offensives de Soulouque mériteraient
d’être mieux connues. Leurs conséquences sont cependant loin d’être innocentes. Rafael L. Trujillo et ses idéologues
se remémorèrent nt les atrocités des troupes haïtiennes conduites d’abord par
Christophe ensuite par Soulouque pour justifier le massacre de 1937. Poussé par
ses lettrés et sa cour, le chef
dominicain fit couler Le long du Massacre un sang qui, sans être patricien, n’en
était pas moins rouge. Une tache qui ne
s’est pas tout à fait effacée.
Quoi
qu’il en soit, dans sa lettre à Geffrard, aux dires de certains historiens,
Faustin 1er le rendit
responsable de la faillite de nos troupes et de la scission de l’Est, après
trois infructueuses tentatives et des retraites éclaboussées de sang qui
n’honorent pas toujours les troupes haïtiennes. L’historien Antoine Michel
donne quelques détails sur la conduite du colonel Geffrard. Mais, vue sous d’autres
perspectives, la campagne de l’est obéissait
à des mobiles moins prosaïques.
Cela
dit, quelle image gardons –nous de Soulouque et de son empire ? Ce miracle
digne d’un conte à la Cendrillon plonge ses racines dans l’inconscient
collectif national d’une nation
d’esclaves qui tentait de naitre à la lumière.
♦
Revisitant
l’histoire, chercheurs et mémorialistes ont du mal à se défaire de cette image
un peu caricaturale du second empire haïtien. Même Victor Hugo n’a pu s’empêcher
de reprocher à Napoléon II d’être le singe d’un nẻgre. On connait le portrait qu’en a fait Gustave d’Allaux,
portrait qui immortalisa les clichés et les préjugés de l’époque. Ni Dessalines ni François Duvalier, aux dires
de Murdo J. McLeod, Caribbean Studies, (1995)
n’ont pu échapper aux méfaits en aval et
en amont de l’héritage de Faustin Elie Soulouque. La presse étrangère reproche à tous les trois
leurs excès et leurs brutalités. Les trois ont eu cependant à se battre sur
plusieurs fronts, tout simplement parce qu’il y avait une nation à construire.
N’empêche
que Soulouque reste enfermé dans trois stéréotypes : son antimûlatrisme,
son nationalisme et son choix vodou, en un mot son noirisme.
A la
mort de Riché, les boyéristes voulurent garder le pouvoir mais de manière subtile.
La question épidermique que l’auteur des Jacobins Noirs considère comme la malédiction d’Haïti était encore
explosive, et il fallait donner le change. Mal leur en prit, car Faustin
Soulouque, quoique né esclave, tenait des Mandingues un certain sens de la dignité personnelle. Ce n’est
pas pour rien que sa carrière se déroula sans histoire jusqu’au grade de chef
de la garde présidentielle. Les moqueries de Jn P. Boyer, quoique discutables,
selon Heinl, n’y purent rien. Bientôt, sous des dehors tranquilles et faites de
réserve, un chef émergea, pour le plus grand malheur d’un monde qui s’estimait
trop astucieux.
Bien
vite, Soulouque s’entoura d’un cabinet secret qui revoyait les dossiers, mais également
d’une garde, sorte de milice recrutée dans le petit peuple. Les Zinglins
avaient fait leur apparition sur la scène de P-au-P, ce qui rappelle les zobops
de Boyer et annonce les amazones de Salnave en passant par les tirailleurs de Geffrard, avec la seule différence
que la couleur de la peau créait des identités et des pulsions nées comme des
forces de l’instinct et de l’inconscient.
Il s’ensuivit un choc qui, comme
toujours, porta les Haïtiens à prendre l’ombre pour la proie. Cette question
allait hanter la seconde moitie du 19 eme siècle en Haïti, ruinant tout effort
de modernisation. Quand plus tard, elle atteint son paroxysme sous Salomon,
ministre de Soulouque, les Haïtiens avisés comprirent que c’est bien Hédouville
qui avait perdu Haiti, et non les tentatives de reconquête de Napoléon et de
Charles X.
La société
cria alors à l’antimûlatrisme, ce qui
ajouté aux origines plébéiennes de l’empereur et à son penchant pour les dieux
perdus de la foret malienne, consacra
son choix pour la cosmogonie vodou en train de phagocyter le panthéon chrétien, lui-même
sorti du syncrétisme judéo-romain.
Dessalines en voulait aux rites africains qu’il pourchassait, mais Pétion gardait
jalousement chez lui son tambour assotor, dans lequel se condensent l’énergie cosmique et les forces biologiques.
Le president Riche frappait de son « cocomacac »
les houzis en transe dans le Bel Air colonial, mais son lointain descendant Veuillot du Morne
Marinette , porta le vodou sur les scènes de Paris, non loin du Bois de Boulogne. L’empereur avait-il
la main heureuse en faisant au p’tit matin ses
libations sur le gazon mouillé de son habitation ? C’est discutable, mais,
il laisse en tout cas à la postérité un
facteur a la fois d’unité et de ségrégation, tant et si bien que le vodou
risque de remodeler pour le futur ce qu’il reste encore d’haïtianité dans l’âme nationale.
♦
Un matin
de 1849, un Soulouque courroucé envoyait
ses bateaux de guerre au large de l’ile
la Navase, autour de la quelle des
marins américains avaient jeté l’ancre. Les négociations s’ouvrirent, mais l’Espagne
et la France choisirent d’appuyer les prétentions américaines. Au bout du compte, on accepta
de partager les revenus que l’exploitation des phosphates rapporterait en
versant au gouvernement haïtien une partie des bénéfices. Et Soulouque rappela
sa flotte, laissant pendant le contentieux.
McLeod
souligna ce nationalisme de l’ancien esclave (il n’avait point oublié les mots de Sonthonax), trait de caractère
qui identifia les survivants de nos guerres d’indépendance. Les contemporains
de l’empereur lui en surent gré pour
cette fierté que dégageaient d’ailleurs son physique et la noblesse de ses
traits. Il sut, poursuit l’auteur de : Soulouque dans l’histoire d’Haïti,
maintenir « at. bay », les puissances impérialistes de l’époque, La France,
l’Espagne et l’hégémonie naissante des USA tentés par ce que contient de résidu
raciste, le Destin Manifeste appelé à inspirer leur politique étrangère. Edmond Paul du Parti
Liberal ne pourra nullement s’empêcher de reconnaitre un certain mérite au
Bonhomme Coachi malgré son « indigence intellectuelle » ajoute
le théoricien de ce parti. Ayant montré un certain sens de l’autorité dans la
gestion des affaires publiques et une forme de nationalisme agraire qui annonce celui entre autres de Maurice Barrẻs, attaché
aux valeurs très vieille France , à la veille de l’affrontement Franco allemand
de 1914, Faustin E. Soulouque suscite en
notre temps sinon de la sympathie mais du moins un retour de l’histoire qui
voit l’ensemble du paysage plutôt que les accidents du terrain et du relief.
L’histoire
se trompe souvent mais se reprend toujours.
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