NOUVEAU REGARD SUR LE VENDREDI 26 AVRIL 1963
Il y a 50 ans...
1.-L'Armada mouillait au large
Embrassades des deux B : Bosch et Betancour |
B
|
eaucoup plus que son lot de tragédies, la journée du
vendredi 26 avril 1963 représentait la
partie visible d’un inimaginable iceberg
dans une crise qui dépassait le cadre exclusivement haïtien.
Certes. vue sous l’angle purement
politique, et compte tenu de son cortège de deuils qui marquèrent
pour toujours la société haïtienne, cette journée fatidique semble être
l’aboutissement de ces événements qui se succédèrent les uns aux autres, à
compter de l’avènement du Dr François Duvalier aux affaires. Toutefois les
acteurs et protagonistes qui firent de ce mois d’avril bien plus qu’une tragédie,
se recrutèrent bien au delà des frontières haïtiennes. La date charnière du 26
n’était en fait que le point culminant
d’une crise qui couvait longtemps déjà. Il y avait bien autre chose dans le
paysage politique caraïbe.
- LA CONSPIRATION
La preuve, c’est que la trame se
déroulait, pour commencer, entre le
Venezuela de Romulo Betancourt et la
république dominicaine de Juan César
Gravira Bosch, opposant intraitable de Rafael L. Trujillo, abattu le 31 mai
1961, non loin de l’Ave nida Maxima Gomez, à Santo Domingo. Dès février 1963, à peine élu, le professeur Juan Bosch avait promis non en termes sibyllins au peuple haïtien
qu’il pouvait renaitre à l’espoir.
L’alliéde Bosch n’était autre que le président Betancourt ; il en voulait à François
Duvalier d’avoir trempé à tort ou à raison dans l’attentat qui avait couté la
vie à son chef de ses services de renseignements. Bosch prétendait être le bras
armé de son voisin vénézuélien, ce dernier avide de se faire une image de
champion des droits humains, d’où sa tiédeur
à l’ endroit de Fidel Castro.
C’est dans un tel climat en passe de
s’internationaliser que Lionel Honorat, issu d’une famille politique datant de
Dumarsais Estime , acquit le soutien du chef de la mission navale américaine,
le major Robert Heinl, qui avait ses
bureaux au palais de François Duvalier derrière lesquels s’affairait le major
Williamson, que le major Claude Raymond, chef de la garde présidentielle,
trouvait encombrant. Longtemps plus tard,
dans son livre, Mission navale en Haïti, Williamson dira que ses marines
étaient sur le point de se défaire de Duvalier. On ne sait pas très bien ce que
se dirent Heinl et Honorat, mais Heinl avait eu déjà la malencontreuse idée d’approcher le général
Pierre Merceron pour son projet de pronunciamiento. Le général Merceron se
cabra et s’en ouvrit à François Duvalier. C’était déjà en 1961, l’année même ou
dans une curieuse alliance, le haut clergé dominicain et les conspirateurs
groupés autour du général Pupo purent envoyer ad patres le benefactor. Le clergé haïtien, coiffé par l’archevêque
Poirier, hélas n’eut pas cette chance.
- Le Colonel Du Niagara
Alors, aux premiers jours d’avril 1963, le
fruit apparemment mûr, le colonel Honorat,
frère de l’ethnologue Lamartine Honorat, lui-même ministre de Duvalier, jugea le moment venu de secouer le cocotier,
pour employer un langage à la mode. Mal
lui en prit, malgré le fait que Le chef de la Mission Navale, le colonel Heinl,
eût dans
une note au Nouvelliste enjoint les militaires de se « défaire
des macoutes ». Dès le 5 avril, le complot ou le projet de complot
devint une conversation de salon ou mieux un secret de polichinelle. Les
officiers du clan Honorat se méfiaient des officiers jugés duvaliéristes. Au 14
avril, jour commémorant l’l’anniversaire
de naissance de F.Duvalier et jour fixé
pour le bain de sang des tribunes du
Champ de Mars, le colonel du Niagara (Honorat devait se retirer à Buffalo, non
loin des chutes du Niagara) souhaitait exécuter à bout portant le président et
sa famille dans un scenario qui annoncerait le coup contre l’égyptien Anouar al
Sadate au début des années 80). Ce jour-la, aguerrie, la garde présidentielle défila
en tenue de combat et rendit les honneurs à celui qui se faisait déjà appeler
le dernier des marrons. Il avait pris soin de se faire accompagner de l’état
major au complet et d’une milice civile qui avait à la tribune même le doigt
sur la gâchette. Le 14 avril se déroula sans incident. Mais, le 19 avril, malgré les
conseils de son ami, le général Gérard
Constant qui l’avait conseillé de gagner
l’ambassade, le colonel Charles Turnier, en attaquant à coups de revolver le
palais national, se faisait tuer aux Casernes Dessalines ou il avait été détenu. Un peu plus tard, en cette même matinée ,
c’était un vendredi, F.Duvalier réunissait
l’état major au complet dans son bureau, pour déplorer une telle tragédie, mais plus certainement,
pour avoir l’état major à l’œil ; Honorat s’était refugié avec Kern
Delince et autres à l’ambassade du Brésil.
D’un autre coté, un autre type de complot se déroulait et qui
n’avait pas grand-chose à voir avec l’armée d’Haïti. Clément Barbot était
jusqu’au début de l’été 1961 cet homme fort redouté de tous et sur lequel les
militaires de la garde présidentielle n’étaient pas arrivés à mettre la main, même
après un attentat à la bombe au Casino international. La garde prétorienne
voulut ce jour la mettre Barbot aux arrêts, mais, se heurta au refus du président.
Barbot faisait partie presque de la famille, et les enfants du président
l’appelaient « mon oncle Barbot ». F. Duvalier était au fond un sentimental.
- La Tragédie
Même au temps de sa disgrâce, Clément
Barbot avait toujours eu les bras longs.
Au printemps 1963,Il se décida à passer à l’action, fort
de l’appui de ses amis de l’Est dont le benefactor et surtout de celui de son chef des services secrets, le terrible
Johnny Arbes Garcia qui s’épongeait le visage avec un mouchoir rouge à la mode haïtienne.
En avril 1963, sortant du maquis et
apparemment bénéficiant de l’aval
de Raymond Thurston, cet ambassadeur américain qui de concert avec l’administration Kennedy
et le chef de la mission Navale, avait
juré la perte de François ‘Duvalier, Clément
Barbot voulut hâter l’échéance du mandat présidentiel. Ce vendredi, « j’avais note des ma
sortie du palais qu’une voiture nous suivait ; elle tourna même a la rue
de l’enterrement » précise le benjamin du président Duvalier, Jean C.Duvalier âgé alors de 12
ans. Moins de cinq minutes plus tard des coups de feu éclatèrent, fauchant
quatre vies de l’escorte des
enfants Duvalier. Le Rubicon était franchi. Le colonel Geralus
Monday sut longtemps après que Clément Barbot, l’arme au poing, était vu s’engouffrant dans une voiture qui
l’attendait devant l’immeuble de la Camep( Centrale autonome metropolitaine de l’eau potable). Nul doute qu’il venait de perpétrer
cet attentat sur lequel le jour reste encore à faire.Toutefois, selon d’autres témoignages,
notamment celui de feu Max Dominique de la garde présidentielle, deux soldats
proches de François Benoit étaient sur les lieux avec une mission mal définie. Un avocat proche du
clan Honorat et qui devait lui aussi se refugier à l’ambassade du Brésil, Me François,
observait la scène, non loin de la clinique du Dr Panesteker Laroche ; il prétend
avoir vu un individu abattre l’un des soldats de la garde des enfants, avant de
contourner la rue des Casernes et disparaitre en direction de la Grand ‘Rue.
Ce qui s’ensuivit est encore de nos jours,
cinquante ans plus tard, matière à controverse. Le sang coula à profusion. Le
président lui –même sembla être sur le point de perdre le contrôle de ces groupuscules souvent
anonymes qui voulurent se faire justice eux-mêmes. Le capitaine Gérard Louis arriva trop tard
pour sauver la vie a un Bouchereau, propriétaire d’une blanchisserie. Son
crime, raconte le colonel Louis, c’était d’avoir demandé à une personnalité
connue de Pétion Ville de mettre beaucoup plus de lait dans son café et de nom
de famille dans son arbre généalogique
avant d’avoir des prétentions sur une de ses proches. D’autres scènes du même genre se répétèrent
en cette matinée au point que vers les onze heures, le colonel Claude Raymond
dut intercéder en personne auprès du président F. Duvalier pour le porter à
ouvrir les yeux sur cette violence qui
battait son plein un peu partout dans la ville. « Nous allons à la
catastrophe, M. Le président ». Mais,
sur ces entrefaites, au Bois Verna, la
maison Benoit etait la proie des flammes.
- Ultimatum
Dans l’après midi du vendredi 26 avril,
Juan Bosch prenait son thé quand l’ambassadeur américain John B. Martin vint à lui
entretenir par hasard des événements d’Haïti avec une nonchalance qui faisait
croire à un fait divers. Ce n’est que plus tard, aux premières heures du jour,
que la gravité de la situation apparut a leurs yeux. Le président Bosch fit
venir son chancelier, Andres Fuentes. C’était, notait l’ambassadeur, un homme rasé de prés et
d’une élégance sobre sans recherche. Sans mâcher ses mots, Bosch dicta un
ultimatum que l’ambassadeur et le chancelier trouvaient tous deux d’une agressivité
patente. Le ton allait monter ; la presse dominicaine appelait déjà aux armes presque en même temps
que le président dominicain. Le diplomate américain parla même dans son
manuscrit : La Guerre Avec Haïti d’un mouvement de troupes. A la frontière
haïtiano- dominicaine, les soldats grimpaient aux arbres et suivaient des yeux
ce qui se passait du côté haïtien. « J’enverrai mes avions àPt-au-P »
menaçait Bosch, poussé d’ailleurs par sa femmequi croyait qu’il fallait une leçon
à Duvalier. L’ambassadeur Martin avait ses entrées chez les Bosch. Il notait
comment madame Bosch prenait des allures d’amazone en ce qui a trait au conflit
diplomatique, ce qui paraissait conforter Bosch dans son humeur belliqueuse.
François Benoit l’avait échappé belle du côté haïtien et pleurait ses parents dans l’enceinte non de
l’ambassade mais chez le diplomate dominicain qui avait pris ce monde dans sa résidence
privée a Pétion ville. Un mystère plane encore sur les vrais auteurs du sac de
la maison parentale au Bois Verna, mais pour des témoins surs, un officier ,connu
pour ses mauvais penchants,aurait envoyé dans l’au-delà M. et Mme
Benoit. En ce moment la, Benoit s’était
déjà refugié a l’ambassade dominicaine.
Une autre source affirme que le Lt Benoit présent ce matin-la chez ses parents
aurait vu se dérouler sous ses yeux la scène sanglante. Ces témoignages concordent ; mais, quoi
qu’il en soit, comme dans une série noire, le sang n’arrêta pas de couler comme
si un meurtre justifiait un autre. Bosch
avait déjà ameuté ses unités de la marine, de l’infanterie et de l’aviation. Mais,
M. Martin, notre diplomate reçu chez les Bosch, notait que la plupart des
commandants de l’armée dominicaine piqueniquaient soit dans leur finca ou en
haute mer, à la pêche.
Bosch
voulait nous entrainer dans une aventure où personne ne voit clair,
soulignait déjà un jeune capitaine qui fera plus tard parler de lui :
Wessin y Wessin. Sous des allures de matamore, Bosch jouait aux va-t-en guerre,
une façon de faire diversion à son incapacité à mettre la gauche dominicaine au
pas. Les émissaires de L’OEA accourus pour prévenir un conflit arme sur
Hispaniola concluraient bientôt que Bosch était lui le problème. Duvalier avait
maté certes dans le sang toute velléité de faire obstacle à son gouvernement,
mais, comme l’échéance du 15 mai 1963 approchait et qu’il ne montrait aucun désir de partir, l’administration Kennedy, forte du
soutien des pays latino-américains dont le Venezuela en tète, et prétextant des
dizaines de protestations envoyées au chancelier haitien,M. René Chalmers, cette administration abonda dans le sens de
son ambassadeur en Haïti, Raymond Thurston, qui souhaitait voir arriver aux
affaires un gouvernement plus décent. Le fruit était cette fois ci bien mur.
Alors, Duvalier chantant le mardi 30 avril
les funérailles de ses soldats à l’ancienne cathédrale de Pt-au-Prince, John F. Kennedy envoya son armada dans les
eaux territoriales haïtiennes.
Prochainement :
2.- JFK se fache
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