(3 eme partie).
Les P’tits matins Caraibes
Anyé, Anyé, a entonne Andrea Bougon, ainsi nommée parce que son fils avait les cheveux couleur bab mayi. Anyé a répondu le chœur des femmes en blanc, ces fameuses housis qui dansent et chantent avec ostentation. Le péristyle n’était pas grand, mais assez spacieux pour accommoder les tambours, l’officiant et son assistant, puis ce défilé, ou plutôt ce ballet de femmes couleur noir et blanc, sans lesquelles la cérémonie perd de son éclat et même de son sens. Je n’ai jamais su qu’il fallait un tel appareillage pour appeler les esprits qui servent d’intermédiaires entre le très haut et les mortels que nous sommes. Dieu, devais –je conclure en ce temps la, n’est pas quelqu’un comme approche like this like that.
Mais, à la messe des frères au Bicentenaire, les choses revêtent un sens nettement différent. Nous arrivions tôt le matin, au lever du soleil, avec un uniforme blanc contrastant avec une cravate rouge. Nous pénétrions en colonnes serrées par la porte qui donnait sur la cour à l’air nu malgré les sabliers, et les amandiers ou en fin d’après midi, notre camarade Gourgue jouait les pendus. Quelque temps après, le prêtre arrivait. C’était un breton avec un accent rocailleux. Il disait la même chose, que nous ne comprenions pas toujours. Mais, une fois, il a raconte une histoire qui mettait en scène un petit garçon. Ce p’tit garçon avait tenu tete aux injonctions de son père, un prêtre vaudou. Ce dernier voulait d’une hostie pour des messes sataniques, précisait le prêtre. Fouette jusqu’au sang, le petit succomba a ses blessures et au tétanos. « Ce petit garçon est maintenant au ciel avec les anges ; Imitez ce brave enfant, concluait le prêtre, comme les orgues entonnaient le Hosanna.
J’ai toujours eu l’impression que ce prêtre s’adressait à moi.
Mais la chorale vaudou était entrainante avec sa musique, la danse des « zepol » l’une des plus élégantes, que je sache. Les tambours parlaient au cœur et au sang qui venait du cœur. Tout le monde était à la limite de la transe quand les tambours se déchainaient. J’ai toujours cherche le point ou la danse et le chant, en s’articulant, menaient au péché que je ne l’ai pas trouve. Le cure breton avait un langage, les tambours avaient un autre. Je retrouvais les miens a la sortie de la messe et le spectacle de notre péristyle qui respirait la joie de vivre et l’innocence faisait le reste.
Comment Mie Lourdes, jean Claude Abraham, Paul et Majo résolvaient en les harmonisant ces conflits qui annonçaient les petites guerres de religion, je ne l’ai jamais su. Passe 1986, 40 ans après la libération contre l’esprit de Rome et la suprématie du catholicisme, religion d’état, les conflits religieux devaient aboutir aux pogroms anti vaudou de la Gde Anse. Ces hécatombes restent muettes. On continue de parler des vêpres jeremiennes, sans pleurer sur ces autodafés menés a l’instigation de l’évêché de Jérémie. Ce qui reste a prouver.
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L’Afrique et le reste du monde continue encore à s’affronter en Haïti. Certes, la révolte Mau Mau au Kenya dans les années 50, les amputations conduites en Sierra Leone lors de la guerre des diamants, les chasses aux sorcières en Afrique de l’Ouest, l’assassinat d’une mère et de sa fille a la Place Ste Anne, a P-au-P, sous prétexte qu’elles étaient des « lou garou », les empoisonnements si courants dans les campagnes haïtiennes, parlent suffisamment d’une Afrique méconnue de ce monde et qui continue encore de défier la raison hellène de Senghor. On n’insiste pas cependant sur la méfiance que le monde blanc avide de possessions a généré chez les peuples noirs qui, en se dispersant a travers la planète, créent une diaspora d’une Afrique multiple appelée à modeler a sa façon le futur de notre monde. En attendant qu’a Rio les géantes statues des divinités africaines véhiculent une nouvelle vision de la vie et de l’être, que la révolution noire aux Etats Unis arrive à enrichir de son humanisme une société qui fut esclavagiste, laissons vivre en paix ce petit garçon vaudou avec son sourire innocent sans lui imposer un dieu trop sévère et si lointain. Au p’tit matin, la Caraïbe ne sert que de repère au provisoire et a la fragilité. Le bonheur est précaire ; mais, s’il ne doit durer qu’un matin, a quoi bon en vouloir a ceux qui trouvent l’essentiel pendant qu’ils se frottent les dents et les gencives a cette tige savonneuse en traduisant par la danse ce que disent les tambours ? Il y a de ces moments dans la vie qui ne sont pas faits pour les conflits. Il y a des émotions qui édifient déjà le futur.
Qu’il en soit ainsi !
4 eme et dernier article: Haiti, les derniers esclaves
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