COMPRENDRE FRANCOIS DUVALIER
LEGER FELICITE SONTHONAX |
P
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our comprendre François
Duvalier qui a dirigé Haïti de 1957 a 1971, il faut se rappeler que la seconde moitié du 20 ème annonçait,
qu’on le veuille ou non, le commencement de la fin pour la société traditionnelle
ou pour mieux dire l’agonie de la société post esclavagiste ou de ce qui en
était le résidu. A ce compte, François Duvalier se présente à la fois comme un
homme du passé et du futur.
Par une de ces fatalités dont l’histoire
semble avoir le monopole, la société haïtienne a trainé pour le pire cet héritage
du passé qui n’est autre que l’héritage colonial. A part sa stratification et
son exclusivisme, la société d’après l’indépendance était à ce point fragile
que déjà , vers 1801, sous la férule
d’un Toussaint Louverture, des esclaves fraichement affranchis, rassurés sur
leur futur, écrivaient à leurs anciens maitres pour les inviter à revenir à St
Domingue, la paix enfin rétablie. Plus
tard, ce discours et ces mentalités revivront parmi les classes nouvellement acquises à la liberté.
Ce n’est pas sans raison que les générations du temps de Pétion et de Boyer
vivaient dans la crainte d’une offensive française, illustrant ainsi combien la
nouvelle nation était minée par
l’angoisse des lendemains. Haïti, sans
le savoir, s’était installée dans une ère épique qui alimentera la légende des générations
de la fin du 19 ème siècle. Nourri d’un nationalisme
ombrageux et agraire notamment dans le Nord, l’héritage des premières années du
20 ème siècle consistera dans le culte de la patrie qu’on prétendra aimer de
manière charnelle à la Charles Péguy. On retrouvera même dans la France
profonde ce culte barrésien aux vieilles terres restées monarchistes.
LA MAJORITE MINORISEE
François Duvalier incarnera dans les années 20
ce nationalisme haïtien qui, quoique nébuleux et précaire, gangera en intesite sous l’occupation. Les survivants de ces années- là tendent à
disparaitre, mais ses derniers représentants, que ce soit l’agronome Edouard
Berrouet, un nationaliste de gauche à l’instar de Jacques Roumain ou encore
Lamartiniere Honorat en qui on retrouve,
allié a un modernisme bon teint. un dosage heureux de la pensée de cette époque,
incarnent ce qu’il y avait de consistant en ces années 20 et 30. Mais ce qui va surtout trancher dans le décor, c’est le courant d’une
certaine haitianité aux contours mal définis, appelée
cependant à inspirer en même temps les démarches des hommes de gauche et de droite, dont les Carlet Auguste, les Herve Boyer, les Clovis Desinor et les , René Chalmers pour
ne citer que ceux là . Parmi cette brochette de combattants d’une résistance alors culturelle en attendant qu’elle épouse les
nuances d’un nationalisme dans lequel se retrouvera l’Afrique des indépendances,
François Duvalier allait s’adresser à l’essentiel, c'est-à-dire, à cette majorité
minorisée selon l’expression du Professeur Leslie F. Manigat, d’où il va tirer sa milice, la plus grande réalisation de son
gouvernement à notre avis.
Il est difficile de représenter par la pensée ce que peut être la vie rurale, les travaux et
les jours du plus grand nombre, quand
nos élites ont été pour la plupart formées à une école qui ne tenait qu’a
briser l’âme nationale et a installer à la place d’un cœur, d’une vision du
monde et d’un style de vie une culture qui n’invitait hélas qu’à la négation de
soi, à la trahison et a l’àbdication
. Pour jeter les bases d’une nation
toujours en devenir, François Duvalier a
légué aux régénérés de
Sonthonax ce qu’on pourrait appeler l’illusion du pouvoir. Alphonse Daudet raconte qu’un porte drapeau
d’un régiment de l’armée française de 1871 ne vivait que pour tenir très
haut ce drapeau dans lequel il avait
placé son destin. En créant sa milice, Duvalier songeait peut être à son
pouvoir, mais il pensait surtout tirer
la majorité de ses silences, de ses peurs et de sa grande blessure historique,
laquelle n’était en fait que l’exclusion
tantôt pour des raisons épidermiques, tantôt pour un passé dont elle n’était pas responsable. Or,
la psychologie contemporaine a appris que l’homme ne se libère et ne donne sa
veritable mesure que dans le triomphe.
Duvalier croyait qu’en donnant aux masses noires une vision de leur dignité, une nouvelle image de
soi, et finalement une mission, il pouvait élargir l’assiette nationale et
insinuer dans leur esprit qu’elles étaient elles aussi partie prenante de cette
expérience du rachat de l’homme par l’homme. En tirant, suivant l’exemple de
Sténos Vincent, de sa torpeur le paysan pour qui le géographe Paul Moral
croyait quel’heure des réparations avait sonné,
Duvalier pouvait extrapoler et
prétendre que derrière la race il y avait l’espèce à sauver, ce qui voulait
dire l’essence même de l’histoire.
LA ROSE ET LE FUMIER
Si quelques milliers de familles aspiraient comme en Afrique du Sud à régenter le destin de 4 millions d’âmes augmentant au rythme d’une croissance
exponentielle, il faudrait ou bien se laver les mains comme Ponce
Pilate ou bien choisir un nouveau cours au fleuve de l’histoire. Pour
sauver l’avenir, la paix sociale et pallier
à la répétition du festin de Balthazar, l’ordre vermoulu des siècles passés était en dépit de tout
assujetti au sort de Carthage rasée par Scipion. La création de la milice
rentrait dans le projet d’une modernisation sociale et économique de l’ancienne
St Domingue. Mme de Sevigne écrivait
qu’il fallait un peu de fumier même sur les meilleures terres, mais hélas passé
1986, les octogénaires du micro monde se
demandaient si la rose pouvait sortir du fumier, après 40 ans de pouvoir noir (1946-1986).
C’est pourquoi il s’est installé cette paix
armée en ces années 60, années de feu mais années épiques,
lorsque au nom des enfants de Sonthonax
et pour ceux de cette Afrique qui s’ignore, la bataille d’Haïti,
même si elle se confond avec les démêlés
de l’administration Kennedy tentant
d’imposer à une Amérique ségrégationniste
les doléances d’une race pour laquelle du sang a coulé a Gettysburg lors de la
fameuse address de Abraham Lincoln, continue d’avoir sa raison d’etre. Le paradoxe du gouvernement de F. Duvalier,
c’est que malgré la solidarité objective des peuples du tiers monde avec le
programme des régimes satellites de L’URSS, Duvalier va rester soudé aux idéaux
de l’hémisphère, notamment lors de la crise de Cuba et à la conférence de Punta del Este. Le secrétaire d’état américain Dean Rusk a
prétendu qu’en échange de son soutien, le chancelier René Chalmers lui a offert
une tasse de café à $ 2 contre un projet d’aéroport évalué à plus d’un million
de dollars, soit 5 millions de gourdes haïtiennes. Duvalier et son
chancelier sont allés bien au delà de
leurs promesses contrairement à l’émissaire
américain qui, une fois, disait d’Haïti qu’elle était la poubelle de l’hémisphère.
Malheureusement, les USA ont été trop souvent
livrés à des individus avec très peu de
vision dans l’esprit. Haïti à l’époque a mené une guerre sans merci contre la gauche anonyme
avec une poignée d’officiers engagés au plus fort de cette guerre froide qui se livrait contre le monde libre. Il faudra du temps aux
successeurs de Kennedy pour comprendre
le rôle d’Haïti dans l’arrière cour de Bill Clinton. Duvalier une fois parti,
sous prétexte qu’il fallait maquiller le
pouvoir, la vieille garde fit les frais de la modernisation à un prix élevé. Mais,
Les années d’or de la dictature en termes de qualité de vie restent non pas
supérieures, mais différentes des années
dites de démocratisation et de privatisation.
LE TEMPS DES CHEVALIERS
C’est finalement le professeur Marcel D’Ans et
David Nichols qui expriment le mieux le
bilan des années Duvalier dans la vie
politique haïtienne. Le chancelier haïtien des années 70, le Dr Adrien Raymond disait que François
Duvalier a voulu instituer l’ordre équestre dans les affaires de la République
en souvenir de la Rome impériale. En introduisant les figures remarquables de
la province dans l’administration, en recrutant sa garde prétorienne dans l’arrière
pays, Duvalier a donné une impulsion datant de Stenio Vincent a la frange des
marginaux du pays profond. Une
anthropologue a tiré la conclusion que
Paul Magloire, Dumarsais Estime et François Duvalier représentaient les enfants
de Vincent, avec la seule différence que de ce triumvirat, Paul Magloire, homme venu
d’un Nord fatigué de faire l’histoire, ne va pas s’embarrasser de la question
de couleur, dont on a dit qu’elle était la malédiction d’Haïti.
Comprendre Duvalier enfin, c’est imaginer ce
que Haïti pouvait devenir au 20 eme siècle avec une société d’apartheid, à
laquelle on a appris que Dieu était de race caucasienne, que l’esclavage était même
une grâce de ce pur esprit, que même dans le ciel, aux dires d’une Jérémienne de l’ancienne societe,il existait encore des classes,
et que l’avenir n’était réservé qu’a ceux qui ressemblaient à ce dieu. On
comprend aujourd’hui la révolte de Prométhée, on comprend également que le 21 ème
siècle reste le siècle des mea culpa, en attendant d’être celui de la foi, fût
elle- aveugle. Mais le visage de la foi est euclidien. Duvalier s’est confusément
attaqué à ces citadelles ; mais à vouloir libérer les soutanes, il a pavé
la voie à ce qu’il reste de pernicieux et d’inhumain dans le monde des églises.
Pour tout dire, il a bouleversé la matrice de ce pays ,selon le professeur
Gérard Gourgue, mais cette matrice est porteuse de surprises et pourra toujours
enfanter dans le même lit et presque à parts égales, le bien et le mal.
Le russe Leonid Brejnev |
Le Chancelier Rene Chalmers & l'ambassadeur Carlet Auguste |
David Dean Rusk, le secretaire d'etat americain |