Femme de President...
Née en 1911 et de
onze ans la cadette de son mari, Lucienne Heurtelou est une frêle et délicate
jeune fille, retranchée derrière les rideaux et persiennes de famille lorsque
Dumarsais Estime demanda et obtint sa main pour des noces que Stenio Vincent conduisit à la chapelle de ce palais
construit pour une certaine aristocratie dans les années 20. Il y eut dans cette union bénie à la fois de Dieu
et de César comme l’onction du temporel
et du spirituel. Les destins ne se laisseront pas prendre au dépourvu. En 1946, Stenio
Vincent pouvait encore méditer
sur la vanité des choses humaines dans sa retraite de PV, mais au palais, la
vague qui monte n’a rien à voir avec l’ordre instauré au départ par
l’occupant. Le président Estimé, protocole oblige, sacrifiait aux mondanites et
à un monde connu pour ses sourires métalliques, mais, sur les
marches du palais, massés comme au pied des idoles païens, des milliers
d’affamés attendaient un miracle que l’on croit etre dans la nature du pouvoir . Qu’allons nous faire pour eux,
s’effondra en sanglots le président
élu ? Larmes qu’une délicate épouse
épongea. Ne pouvant répondre aux attentes individuelles, Estime tenta d’offrir
un rêve et une vision à l’ensemble de la
nation.
Il s’attaqua
d’abord au paysage dans l’espoir que demain les jeunes trouveraient un socle à leurs nostalgies, un cadre à leurs rêveries, et un
climat à leurs évasions. Il le fit sur
ce front de mer de la basse ville, là où depuis toujours, les navires venus de
loin amenaient soit les autorités de St
Domingue, et avec les filles et les mauvais garçons de Paris, soit leur cargaison de nègres. Fort
Saint Clair et la Croix des Bossales, milieux réputés interlopes, recevaient
tout ce qu’il y avait de
distinction mais aussi le troupeau sans
cesse grandissant des hommes aux
couleurs de la nuit. Aux fêtes du Bicentenaire,
un coup de balai unique fit
basculer ce mélange dans la poubelle de l’histoire. Aux bras de son épouse,
Estime fit quelque chose qui tient à la fois du miracle et du mirage. Il fit
surgir des fontaines, des espaces verts et des constructions battant pavillons étrangers. Ce devait être
aussi bien une invitation à la beauté
qu’une réponse au reste du monde.
Les témoins racontent encore que
ce fut incroyable.
Il est indéniable
que la gloire de son illustre époux rejaillit sur cette femme née peut
être une cuillère à la bouche et que rien ne prédisposait à ces choix
prolétariens qui ajoutent une auréole posthume au paysan des Verrettes,
expression chère au vocabulaire duvaliérien. Mme Estimé eut alors le privilège
d’assister et de participer à cette
renaissance haïtienne faite de béton et de verre dans un quartier
où l’histoire semble ne pas vouloir mourir. Imaginez. Plus d’un siècle auparavant, la où les colons
inquiets des troubles de St Domingue
partaient avec leurs esclaves à destination
de Cuba ou de la Nouvelle Orléans, la
volonté d’un homme d’état tentait de montrer qu’il n ‘y avait pas que la bête
chez l’esclave et chez ses descendants.
L’apothéose , même dans la déchéance, reste une dimension à la portée de
l’homme, fût-il noir ou jaune, blanc ou
rouge. En 1949, la première dame se
trouvait être partie prenante d’un rêve
qui était plus grand que la vie.
Plus qu’une
affaire de famille
Mais, la
gloire n’est pas seulement le deuil éclatant du bonheur, elle suit également un cycle solaire, c'est-à -dire qu’elle se lève et se couche
pour tout dire. Le rideau était a peine tiré sur les festivités du Bicentenaire
que les militaires firent comprendre à Estime que rien n’était sur à Port-au-Prince,
que pour avoir perdu le contrôle de la situation, il savait ce qu’il lui restait à faire. Isolé dans son palais, le président ne se le
fit pas répéter deux fois. En apprenant la nouvelle, Adeline Heurtelou qui se
trouvait être la secrétaire et la sœur de la première dame, eut le souffle
coupé. Dans l’après midi, tout était fini. Mme Estimé se souvient de ces dos
épais de ces hommes en kaki qui mirent fin à cette exaltante expérience du
pouvoir. Mais, il en a toujours été ainsi de toute fin de règne.
Une énigme qui
commence à peine à se dissiper devait restée attachée à cette époque. Le colonel Paul E.
Magloire à qui l’on prête l’initiative
de ce pronunciamiento s’en
défend avec une grâce bon enfant . Mais, les
traditions notamment orales ont
la vie dure. Mme Estime se gardera bien de se retrouver face à face avec le tombeur de son mari, même
lors des funérailles grandioses que fit à l’ex président le colonel à l’air de
plus en plus christophien. Mme Estimé, qui ne suivit pas le cercueil du
disparu, se barricada derrière une
dignité impériale et une suffisance que l’on trouvera longtemps après de bon goût. Cependant, elle
fut honnête et conséquente à elle-même, quand, en aparté, elle innocenta le
colonel Magloire dans la mort de son mari que la rumeur publique tint pour mort d’empoisonnement . « Mon mari
est mort d’urémie » soulignait-t-elle. Le président Estimé ne se faisait
non plus aucune illusion sur son sort. « Je suis un cancéreux »
confiait –il une fois à Julio Jn P. Audain, l’auteur des Ombres d’une politique néfaste.
La méfiance de
l’ex-presmiere dame à l’encontre des
militaires ne disparut pas pour autant.
Les conversations de famille en sont un témoignage vivant. Selon une version très controversée du coup
d’état de mai 1950, épié et piégé dans son palais, Estime aurait cédé à la
menace d’un canon de pistolet que lui colla à la tempe le lt Philippe
Dominique, allié aux Heurtelou. Philippe
Dominique qui viendra mourir aux Casernes Dessalines, le 29 juillet 1958
constituait déjà avec Alix Pasquet le noyau des officiers acquis à l’étoile
montante du Nord qui n’était autre que
Paul Magloire. Pour avoir joué ce rôle, aux dires de Luco
Dominique, marié à Adeline
Heurtelou, Phito Dominique s’était un
peu aliéné l’estime de ce monde.
Philippe
Dominique, un des frères du flamboyant Jean Dominique assassiné sous le
gouvernement Lavalas en avril 2003 était un soldat qui, par définition, ne se
connaît pas aux choses de la politique.
Eût-il appliqué son pistolet à la tête du
président qu’il aurait été encore dans le devoir. Mais, la république des familles
ne l’entend pas ainsi. On peut dire aujourd’hui que le coup contre l’homme des
Verretes dépassait le cadre des relations
de famille, car il était dans l’esprit du temps. La conspiration était
même dans l’air. En 1949, un tiers de la
garde conspirait, selon David Nicholls, historien britannique, et avec la
garde, l’église catholique et la
bourgeoisie. L’évêque des Gonaives, qui se touvait etre le plus jeune eveque du
monde, Mgr Robert, donnera le ton en
recevant Paul E. Magloire alors en tournée dans l’Artibonite. « Donnez
–nous, Seigneur, déclara le prélat, des hommes de justice et de vérité ».
Mais, Estimé n’était pas loin d’être cet homme –là ..