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Tuesday, November 26, 2013

La Page de Frantz Bataille

L
Coucher de soleil a Tiburon
’exil m’aura permis donc  de constater que le monde rural, celui de mon premier exil, avait en 
plus des   paysages, une histoire, celle bien vivante d’un passé qui ne voulait pas mourir. Le milieu était bien vide, mais  vide à fendre le cœur. Les chaumières étaient  enveloppées d’une solitude déprimante; et la vie toute monotone, qu’elle fût, semblait en même temps marquée du sceau de la mort. Mais, pour notre paysannat, mourir c’était comme changer de paysage. Il ne s’embarrassait point d’en savoir plus sur  ce phénomène  qui était dans  la nature des choses. En tout cas la mort lui aura toujours paru comme un  prolongement de la vie...

Ainsi, malgré tout, sous son dénuement et sa précarité, le monde rural, celui de mon premier exil, exil  d’enfant qui n’en était  pas vraiment  un, était-il d’une intense vitalité. Nous vivions au milieu de grands espaces vides  que  troublait  le souffle du vent, mais, que vint  le jour, et je me surprenais  à entendre les voix lointaines, leurs  éclats  et comme les échos d’un monde présent et caché dans l’épaisseur des branches d’arbres et des jardins impatients de croitre et se jouant capricieusement des saisons. Oh comme la vie peut être présente dans son absence!  Par- delà ces feuillages en folie, il y avait certainement  la magie des horizons et tout le décor insoupçonné des terres lointaines, celles qui durent tenter un matin de printemps les conquistadores s’ennuyant  dans la monotonie d’une Europe devenue trop étroite. Mais, le monde de ma mère, celui qui l’a vue grandir, avait sa richesse, et pourquoi pas son décor à lui. C’est ce monde qui m’a paru soudain enchanteur, comme si la beauté ne se révélait qu’à  celui qui consent à en payer le prix.

-Que pouvait être ce prix?
Maman me dira que c’était la patience.

Alors, je me suis mis à écouter au fil des jours et attentivement les récits de famille, ceux qui étaient perdus dans la nuit des temps.  Mes premiers héros seront des hommes rudes montes sur des chevaux dotes également d’un pouvoir que leur prêtait cette trop belle légende rurale. J’appris que ces hommes avaient le pouvoir de disparaitre, qu’ils étaient de la race des  immortels, veillant sur les leurs et aussi bien redoutables que redoutes. Je vis arriver un jour un nomme Philoïs avec une élégance de cavalier conquérant. Ces gran neg répandaient autour d’eux une terreur sacrée. Plus tard, le plus jeune frère de maman me dira qu’au passage de ces surhommes, grand’mère affolée criait  à ses enfants de s’abriter sous le lit parce que les “malfini  deyo”, avertissait-elle. 
J’avais peur en écoutant ces récits, une peur qui s’ajoutait à celle que répandait en nous l’école des frères. Je ne sais de ces deux peurs laquelle  sera la plus funeste. Pourrai-je un jour goûter à tant de beauté répandue au milieu de cette très belle  nature  pendant que les légendes du pays en dehors et les interdits des missionnaires blancs m’apprenaient avant toute chose la méfiance envers un pays qui m’a vu naitre?  “Te isit  glisse” concluait grand’mère. C’est comme si j’entendais le prêtre breton s’écrier: il faut détruire Satan et ses serviteurs.  Mais, hélas, ces serviteurs -là se trouvaient être mes héros.

J’étais donc à six ans déjà écartelé entre deux mondes.  Je tombai en garde contre un environnement tabou que j’aimais cependant. Le tambour dont les rythmes servent à guérir certaines maladies cardiaques, ainsi que je l’apprendrai plus tard, sera quelque chose à éviter.  Mais tout le pays dansait et chantait. Comment rester fidele au message du prêtre alors que mes petits amis et les grandes personnes dansaient comme David avec une élégance irrésistible?  A côté de cet exil mental, la fuite de maman vers Cuba ensuite vers l’arrière-pays cayen semble bien dérisoire.  Je ne savais que choisir. J’aimais les récits étranges des habitations même si il me fallait en bon élève des frères les bouder, jusqu’au jour où j’entendis parler du petit serpent de famille qui habitait quelque part dans le calebassier.

Je n’aurais pas du aimer le petit serpent.  Ce petit serpent inoffensif appartenait à la catégorie des êtres à détruire selon les normes de cette éducation-la que je recevais chez les Frères du Sacre -Cœur. Mais, ma mère m’a dit ce que sa mère lui a dit.  Le petit serpent est l’esprit qui visite quelque fois notre famille, disait Camara  Laye, l’écrivain guinéen. Les gens pleuraient à chacune de ses visites, se réconciliaient et faisaient la paix. Les choses allaient s’améliorer, la joie et l’harmonie revenir  et bientôt l’abondance. Le petit serpent ne venait que rarement. C’était un prophète, un petit  prophète rampant, mais non pas  un prophète  de malheur. C’était un amour de petit serpent.

Ce texte est un extrait de mon manuscrit:
L'exil Au Coeur
J'y raconte mes souvenirs a la fin des annees 50, quand maman se sauva de Pt-au-Prince a la chute de Paul E. Magloire
Il  ne restait pas longtemps. Mais il aimait se réchauffer au soleil. Ma grand’mère passait à cote d’un pas tranquille. Le petit serpent ne s’inquiétait pas. Puis, brusquement, à l’insu de tous, il disparaissait sous les racines  du calebassier. Sa visite terminée allait faire les frais de la conversation pendant des semaines. On en parlait dans une sorte de respect sacre. Car le petit serpent était l’intermédiaire entre notre famille et les forces d’en haut. Mais, les frères nous disaient qu’il fallait fuir ces choses-la au risque d’aller en enfer.

Des années ont passé depuis ces guerres secrètes. Ma famille parle de moins en moins du petit serpent protecteur et messager. A l’époque, une douce paix  tombait sur les terres de Grand’mère plantées de  cocotiers et sur   ces sentiers a l’herbe mouillée. La vie se déroulait dans une tranquillité sans égal. C’était le temps des cassaves, de la coupe de la canne et des champs envahis de soleil et du rire des filles. Rien ne semblait n’avoir change depuis des années, voire des siècles.

Les vieux moulins, les bœufs qui les actionnaient, et l’homme qui fouettait ces bœufs, tout ce tableau remonte aux temps coloniaux. Les hommes aussi sont restés les mêmes. Le petit serpent aussi.  Tout comme ce malfini qui sous un grand ciel toujours bleu, tournait en cercle, attendant de se jeter sur quelque gallinacé trop plein de lui-même.

Ce bucolisme n’était pas  cependant sans revers.




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