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Coucher de soleil a Tiburon |
plus des paysages, une histoire, celle bien vivante d’un passé qui ne voulait pas mourir. Le milieu était bien vide, mais vide à fendre le cœur. Les chaumières étaient enveloppées d’une solitude déprimante; et la vie toute monotone, qu’elle fût, semblait en même temps marquée du sceau de la mort. Mais, pour notre paysannat, mourir c’était comme changer de paysage. Il ne s’embarrassait point d’en savoir plus sur ce phénomène qui était dans la nature des choses. En tout cas la mort lui aura toujours paru comme un prolongement de la vie...
Ainsi, malgré
tout, sous son dénuement et sa précarité, le monde rural, celui de mon premier
exil, exil d’enfant qui n’en était pas vraiment un, était-il
d’une intense vitalité. Nous vivions au milieu de grands espaces vides
que troublait le souffle du vent, mais, que vint le jour, et je me surprenais à entendre les voix lointaines, leurs éclats
et comme les échos d’un monde présent et caché dans l’épaisseur des branches
d’arbres et des jardins impatients de croitre et se jouant capricieusement des
saisons. Oh comme la vie peut être présente dans son absence! Par- delà
ces feuillages en folie, il y avait certainement la magie des horizons et
tout le décor insoupçonné des terres lointaines, celles qui durent tenter un
matin de printemps les conquistadores s’ennuyant dans la monotonie d’une
Europe devenue trop étroite. Mais, le monde de ma mère, celui qui l’a vue
grandir, avait sa richesse, et pourquoi pas son décor à lui. C’est ce monde qui
m’a paru soudain enchanteur, comme si la beauté ne se révélait qu’à celui qui consent à en payer le prix.
-Que
pouvait être ce prix?
Maman
me dira que c’était la patience.
Alors,
je me suis mis à écouter au fil des jours et attentivement les récits de
famille, ceux qui étaient perdus dans la nuit des temps. Mes premiers héros
seront des hommes rudes montes sur des chevaux dotes également d’un pouvoir que
leur prêtait cette trop belle légende rurale. J’appris que ces hommes avaient
le pouvoir de disparaitre, qu’ils étaient de la race des immortels,
veillant sur les leurs et aussi bien redoutables que redoutes. Je vis arriver
un jour un nomme Philoïs avec une élégance de cavalier conquérant. Ces gran neg répandaient autour d’eux une
terreur sacrée. Plus tard, le plus jeune frère de maman me dira qu’au passage
de ces surhommes, grand’mère affolée criait à ses enfants de s’abriter
sous le lit parce que les “malfini deyo”,
avertissait-elle.
J’avais
peur en écoutant ces récits, une peur qui s’ajoutait à celle que répandait en
nous l’école des frères. Je ne sais de ces deux peurs laquelle sera la plus funeste. Pourrai-je un jour goûter
à tant de beauté répandue au milieu de cette très belle nature
pendant que les légendes du pays en dehors et les interdits des missionnaires
blancs m’apprenaient avant toute chose la méfiance envers un pays qui m’a vu
naitre? “Te isit glisse” concluait grand’mère. C’est comme si
j’entendais le prêtre breton s’écrier: il faut détruire Satan et ses
serviteurs. Mais, hélas, ces serviteurs
-là se trouvaient être mes héros.
J’étais
donc à six ans déjà écartelé entre deux mondes. Je tombai en garde contre
un environnement tabou que j’aimais cependant. Le tambour dont les rythmes
servent à guérir certaines maladies cardiaques, ainsi que je l’apprendrai plus
tard, sera quelque chose à éviter. Mais tout le pays dansait et chantait.
Comment rester fidele au message du prêtre alors que mes petits amis et les
grandes personnes dansaient comme David avec une élégance irrésistible? A
côté de cet exil mental, la fuite de maman vers Cuba ensuite vers l’arrière-pays
cayen semble bien dérisoire. Je ne savais que choisir. J’aimais les récits
étranges des habitations même si il me fallait en bon élève des frères les
bouder, jusqu’au jour où j’entendis parler du petit serpent de famille qui
habitait quelque part dans le calebassier.
Je
n’aurais pas du aimer le petit serpent. Ce petit serpent inoffensif
appartenait à la catégorie des êtres à détruire selon les normes de cette éducation-la
que je recevais chez les Frères du Sacre -Cœur. Mais, ma mère m’a dit ce que sa
mère lui a dit. Le petit serpent est l’esprit qui visite
quelque fois notre famille, disait Camara
Laye, l’écrivain guinéen. Les gens pleuraient à chacune de ses visites,
se réconciliaient et faisaient la paix. Les choses allaient s’améliorer, la
joie et l’harmonie revenir et bientôt l’abondance. Le petit serpent ne
venait que rarement. C’était un prophète, un petit prophète rampant, mais
non pas un prophète de malheur. C’était un amour de petit serpent.
Ce texte est un extrait de mon manuscrit:
L'exil Au Coeur.
J'y raconte mes souvenirs a la fin des annees 50, quand maman se sauva de Pt-au-Prince a la chute de Paul E. Magloire
Il
ne restait pas longtemps. Mais il aimait se réchauffer au soleil. Ma grand’mère
passait à cote d’un pas tranquille. Le petit serpent ne s’inquiétait pas. Puis,
brusquement, à l’insu de tous, il disparaissait sous les racines du calebassier. Sa visite terminée allait
faire les frais de la conversation pendant des semaines. On en parlait dans une
sorte de respect sacre. Car le petit serpent était l’intermédiaire entre notre
famille et les forces d’en haut. Mais, les frères nous disaient qu’il fallait
fuir ces choses-la au risque d’aller en enfer.
Des années
ont passé depuis ces guerres secrètes. Ma famille parle de moins en moins du
petit serpent protecteur et messager. A l’époque, une douce paix tombait
sur les terres de Grand’mère plantées de cocotiers et sur ces
sentiers a l’herbe mouillée. La vie se déroulait dans une tranquillité sans égal.
C’était le temps des cassaves, de la coupe de la canne et des champs envahis de
soleil et du rire des filles. Rien ne semblait n’avoir change depuis des années,
voire des siècles.
Les vieux moulins, les bœufs qui les actionnaient, et l’homme
qui fouettait ces bœufs, tout ce tableau remonte aux temps coloniaux. Les
hommes aussi sont restés les mêmes. Le petit serpent aussi. Tout comme ce
malfini qui sous un grand ciel toujours bleu, tournait en cercle, attendant de
se jeter sur quelque gallinacé trop plein de lui-même.
Ce bucolisme
n’était pas cependant sans revers.
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