TOUS LES 3O ANS
Les « Martelly
Years » annoncent une société capable de renouer avec la beauté, l’art et
la paix
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ntre 1946 et 2016
soixante dix ans se sont bel et bien écoulés au prix de changements très
profonds dans la société haïtienne. Si l’on se donne la peine de prendre la
mesure de ces métamorphoses, on se rendra compte qu’il aura fallu deux et
presque trois générations pour faire d’Haïti un pays neuf , avec des
paramètres qui s’appellent l’éducation ; l’espérance de vie, les
infrastructures et bien sur une nouvelle
perception de la société et surtout un nouveau regard sur soi, c'est-à-dire sur les hommes et les femmes qui, sans même s’en
rendre compte, orientent le cours des choses, c'est-à-dire l’histoire.
En serrant de plus
près l’observation, il se dégage une constante trentenaire ; en
termes plus précis, un cycle de trente ans au cours duquel la vie et la vision
des choses changent en bousculant le passe sans toutefois maitriser le futur. 1946 annonça,
qu’on le veuille ou non, un réveil de la conscience, une volonté de sortir des
sentiers battus qui ne limitaient pas seulement au mythe coloriste. La justice sociale, une autre donne dans la
RES publica était sans doute sous-jacente aux cahiers de doléances qui
agitaient les masses, mais ce qui était sur, c’est qu’on ne voulait plus de la routine d’un establishment qui ne voyait
pas se profiler le péril démographique, lequel péril inquiétait déjà les Nations Unies naissantes.
Trente ans plus tard,
au tournant des années 70, le drame rural et l’éclatement des dernières habitations coloniales disait finalement
que l’intermède Magloire et Duvalier n’étaient
pas tout à fait garants de la paix sociale à venir. Par la suite, impatient de
donner un visage cosmopolite a la société traditionnelle, Jean C Duvalier
sacrifia sans s’en rendre compte le monde rural a la modernité. C’est du moins
l’opinion du professeur Leslie F Manigat. Vers la même époque, également, le
conflit israélo arabe eut des répercussions dans une Haïti restée agraire, et J
C Duvalier confiera plus tard que les services secrets palestiniens et
israéliens s’affrontaient dans le sang au pays de la magie vodou. Autrement
dit, l’isolement d’Haïti, terre d’immigration, ne nous sauvait pas de la perméabilité
aux grands courants d’une mondialisation
avant la lettre. En trente ans donc, Haïti sortait du passe, sans payer le prix
qu’il fallait aux facteurs de modernité dont l’éducation et le réaménagement
spatial. C’est bien en fait une sorte de choc du futur, avec la seule différence
que la vague du futur soulignée en 1961 a Berlin par John F Kennedy n’apportait
ni le communisme ni la croissance, malgré la proximité des USA, la plus grande démocratie d’alors.
Donc, trente ans plus tard, a compter de 1946, 1976 apporta l’illusion de la modernité
et en même temps le danger du « piétinement sourd des légions qui montent », malgré
l’âge d’or de la fin des années 70 que les chercheurs américains comparèrent au
pétillement des années 50 sous
Paul Magloire. Ces décennies finissantes inaugurèrent l’ère des
migrations sauvages et des boat people. Haïti ne pouvait plus nourrir son excédent
humain et l’on comprendra que la libéralisation des institutions était une
chose et la géographie de la faim une autre chose. Mais la politique étant
cynique, les marchands d’illusions de ces années déjà folles trouvèrent sans trop
d’efforts les boucs émissaires. Les années 80 devaient sonner le glas de la
vieille Haïti que le français Jacques Barros
considérait comme l’ultime bouclier contre l’américanisation sauvage.
A partir de 1986, la bride sur le cou, Attila et ses chevaux
s’en tirèrent a bon compte ; le feu, le sang, la destruction étant
la réponse aux derniers craquements d’un ordre social vermoulu .Contrairement
aux manifestations innocentes des lycées et collèges de décembre 56,
c'est-à-dire trente ans plus tôt, sous Paul Magloire, la politique était
devenue l’affaire de tout le monde, parce que la radio et les brigades de vigilance faisaient de
tout nequam un leader. En confiant le pouvoir à tout le monde, la démocratie
creusait son propre tombeau ; et c’est pourquoi notre époque réclame la
paix quelquefois même aux dépens des libertés constitutionnelles. Pour sûr, passé
le temps des incendiaires, des assassins et des vandales, le besoin d’un chef
se fait sentir ; malheureusement comme vers 1910, un maitre étranger
n’est pas à exclure, parce que, même avec les meilleures intentions du monde, il
n’est pas toujours facile de faire un
tant soit peu de bien à Haïti.
La vie étant cependant, ce qu’elle est, les beaux jours
et les frémissements du futur ne sont pas non plus au dessus des potentialités
et des espérances nationales, tant s'en faut. Les assassins et les matamores finiront eux aussi, par rêver aux siestes tranquilles de la vie et de ces
fins de jours qui reposent. Même si la
lassitude gagne les âmes et que le désespoir est devenu le spectacle des
populations longtemps livrées à elles mêmes,
les « Martelly Years »
annoncent une société capable de renouer avec la beauté, l’art et la paix. Il est intéressant de souligner que trente
ans apres1986, Haïti se prépare à retourner
a la terre, aux jardins et aux rites agraires, ruinant la thèse qui veut que le
sang et la violence soient le moteur de l’histoire. Si trente après 1976, 2006 a vu s’installer chez
nous, l’opération Bagdad, et ses
violences, 2016 promet d’ouvrir l’ère de
l’entreprenariat sur fond de libération
du génie national. Malgré le désastre écologique qui nous guette, le prochain
rendez- vous de l’homme haïtien réconcilié avec sa terre rappellera étrangement
que la terre continue de vivre en nous et nous dans la terre.
C’est pour tout dire une telle dualité qu’il faudra un jour sauver.
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