LE REPENTIR DES CONQUERANTS
Portés par l’ivresse de la victoire sur des populations qu ils croyaient introduire aux bienfaits de la civilisation, les conquérants estimaient trop souvent, sous le signe d’une sorte de justice immanente, avoir sacrifié des vies à leur foi et à leurs traditions. Le bonheur n’avait alors que le visage de la certitude et de l’absolu. Ainsi, dans une sorte de sainte alliance, la même épée ensanglantée promenée au Pérou, en Haïti et au Mexique ne se connaitra point de répit. Ainsi naquirent ces missions cachant bien évidemment d’autres motivations qu’un matin les amiraux exaltés conduisirent sur les rives encore vierges du Nouveau monde.
Colomb est bien loin, enseveli quelque part dans cette Europe encore avare de mea culpa. Mais, parce qu’elle nous concerne davantage, l’histoire devient obsédante dans le cas d’Haïti qui ne finit pas d’interroger son passé. C’est que, à plusieurs reprises, les conquérants vinrent chez elle au nom de la civilisation, mais toujours sous des prétextes les uns aussi discutables que les autres.
Le premier, à la suite de Colomb qui décima les « natives » en établissant l’esclavage, Napoléon Bonaparte échoua dans son vaste projet d’empire américain, tenu en échec par un Toussaint Louverture qui lui opposa la guerre bactériologique et la guerre des tranchées. Au bout du compte, l’empereur des Français,miné par ses désillusions à Ste Helene. regretta d’avoir trahi les idéaux de la révolution. « Ce fut la plus grande erreur de ma vie », s’écria-t-il, parlant de Toussaint Louverture, .
Mais, il n’y eut pas que Napoléon. Charles X prolongea, au nom des intérêts des colons qui avaient oublié d’avoir construit leurs richesses dans le sang, ce messianisme qui n’avait qu’un seul visage. La France de 1789 et d’après, a toujours voulu gommer ces pages peu reluisantes dans ses relations ambiguës avec un jeune état dont le seul péché est d’avoir aspiré à la liberté. 50 millions d’anciens francs, soit le budget de cette France républicaine au 19 eme siècle, tel fut le goulot d’étranglement attaché au cou de la jeune Haïti dont on se moquait tant sous le second empire. On connait l’histoire tumultueuse d’Haïti déjà vers 1850. Cette dette ouvrit la valse jamais finie de l’instabilité haïtienne jusqu’au jour où la National City Bank acheta vers 1910 ces indemnités que l’on versait aux descendants des colons refugiés au tournant de 1800 à la Nouvelle Orléans.
La National City Bank, pour se faire payer, réclama les douanes haïtiennes, ouvrant ainsi le défilé des gouvernements éphémères, jusqu’ à ce fatidique après-midi de juillet 1915 où l’amiral Caperton se saisit de P-au-P, sur les instructions de la Navy. Woodrew Wilson avoua à sa future femme qu’il a été contraint par les banquiers. Caperton lui-même confia « I’m sorry for the Haitian people » ; de tels états d’âme en disent long sur les dessous de la démocratisation, ce passe –partout de l’occident chrétien. François Duvalier le comprit, lui qui n’a jamais voulu de la City Bank parmi nous. En fait, il a fallu attendre Estimé pour payer le dernier centime de la dette, longtemps après que le président Wilson fut lui-même balayé par une crise d’apoplexie, moins de 48 heures après l’assassinat de Charlemagne Peralte.
Menaçant plus tard les mers territoriales haïtiennes, JFK se retira à contre cœur et moins de 6 mois plus tard, retournait au pays de ses pères. Une légende non trop répandue veut que tous ceux-là qui s’en sont pris à Haïti ne s’en tirassent pas toujours à bon compte. Jean Paul II a beau s’excuser à un Jean C. Duvalier désappointé, dans la soirée de ce mois de mars 1983, au point que le Saint Père étouffa mal son remords. En fait, les papes ne sont pas toujours bienvenus partout, sur cette planète terre, même lorsqu’on voit en eux des messagers du ciel. Loin d’être les hirondelles de la fable. Paul II n’a pas annoncé que le printemps pour Haïti C’était en 1983
Enfin, marchant sur les brisées de Wilson, de Kennedy et des hommes d’affaires du Black Caucus, Bill Clinton alla plus loin. Ce touriste qui en 1975 fit sa lune de miel en Haïti et qui s’exulta de voir chez l’ati Max Beauvoir, les haïtiennes en transe marcher sur le feu, voulut, pour savourer une victoire médiatique a la CNN, dépêcher des troupes en Haïti. Cette fois ci, ce conquérant en eut pour son compte, dévoré lui aussi par le remords d’avoir ruine Haïti. En fait Clinton avait inauguré et pour cause le ballet des assassins déguisés certains en ecclésiastiques d’autres en affairistes patentés qui firent leur beurre sous la protection des baïonnettes américaines, et avec l’aval de ce qui reste de lie dans la société haïtienne.
Malheureusement, ce repentir des conquérants est loin d’avoir fait oublier la dette morale des puissants de ce monde à l’ endroit d’Haïti.
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