I
|
ls
ne s’étaient jamais salués et ne se saluaient jamais.
Ils s’étaient finalement retrouvés en Haïti. Petion-Ville.
et habitaient deux maisons qui se trouvaient l’une en face de
l’autre. Tous les matins, ils se
croisaient, souvent au supermarket, parfois à la station d’essence
ou à la rue. Passaient dans l’indifférence, quelquefois, un pli au front. Qu’y
avait-il entre eux ? Personne ne le savait. On dirait que s’entrevoir leur
donnait presqu’un haut le cœur. Le regard qu’ils se jetaient inspirait autant
de mépris que de nausée. Ils n’étaient point haïtiens, ne s’étaient donc pas
querellés, ne s’injuriaient pas, n’avaient point entre eux des haitianneries
qui renvoyaient a des histoires de famille et de couleur épidermique.
Ils
étaient plutôt des blancs.
Y-avait-il
entre eux des relations de famille tournées au vinaigre au fil du temps ?
Non. Ni leurs filles ni leur garçons ne s’étaient mariés. Ils n’avaient pas non
plus dans leurs relations s une de ces affaires qui s’etaient achevées
dans le drame. Ils n’étaient pas non plus des diplomates occupés à étouffer un
incident ou à verser un contentieux. Arrivés tous deux en Haïti presque au
lendemain de la guerre, ils paraissaient plutôt attelés à se refaire une
vie sous les Tropiques. Haïti jouissait d’une réputation que lui avaient
fait son rhum, le farniente, et un rythme qui pouvait leur permettre de se
remettre de leur fatigue et de leurs désillusions.
Nos
deux compères le savaient.
Donc,
autant en jouir. L’Europe était loin.
Ils
ne se saluaient point, ne s’étaient jamais salués.
Ils
vivaient de souvenirs. L’âge leur avait fait un bon lot d’expériences. L’âge
aurait du les assagir. Au contraire. S’ ils avaient eu à la main un
conteau, c’eut été un drame de plus. Leur regard le disait, et leur attitude
physique également. A les voir se dévisager quelquefois, en début de
matinée, on le sentait. Deux voisins, ça invite à la cordialité. Mais, non.
Heureusement, Haïti est dans leur cas, bien un no man’s land.
Une
fois, l’un d’eux qui s’était laissé aller à un peu de sentimentalité a confié
que la Resistance est passée par les Fourches Gaudines de l’occupant, il n’y a
qu’a lire le Moulin Rouge, a –t-il ajoute. Son rictus nauséeux, sa mauvaise
humeur, s’explique donc. Ce type qu'il ne pouvait sentir, il l’a connu en des
temps difficiles.
Son
voisin, lui, s’est retrouvé en France, du côté allemand durant
l’occupation. Pilote de mobilisé après l’armistice de Juin 1940, il est rentré
chez lui. C’est là que tous les matins, il voyait passer en tenue militaire
avec au col la croix gammée son voisin occupé alors à des taches de police
ponctuelles. Tout est parti de la, et la haine et la rage à peine contenue de
notre pilote.
Ce
pilote qui était français s’appelait ...et son occupant allemand Siegel.
Ils
se sont revus en Haïti.
PARIS LIBERATION, AOUT 1944 |
IL Y A 70 ANS, PARIS SE LIBERE |
No comments:
Post a Comment